La chorale du diable – Martin Michaud

Par Michel Dufour

choraledudiableDate de publication originale : 2011 ( Les Éditions Goélette)
Genres : Thriller, enquête policière. MartinMichaud
Personnage principal : Sergent-détective Victor Lessard (SPVM)

Ce deuxième roman de Martin Michaud l’a définitivement mis sur la carte. Encensé par la critique, lauréat du Prix Saint-Pacôme du roman policier 2011 (probablement le plus rigoureux du Québec) et du Prix Arthur Ellis 2012 (prix canadien très bien coté), La Chorale du Diable témoigne d’un souffle puissant, d’une imagination délirante et d’un grand flair psychologique. Surtout, comme l’a observé Marie-Ève Jean, chroniqueuse radio du Saguenay Lac Saint-Jean : « Il sait tellement comment jouer avec les lecteurs ». Atout fort utile dans le jeu d’un écrivain.

Ça commence raide : un enfant de six ou sept ans est poussé à se suicider à la baïonnette; le policier Lessard, entre la vie et la mort, est en route pour l’hôpital; un couple et trois enfants sont retrouvés massacrés à la hache, du sang partout et des mouches à n’en plus finir. Autre décor : une jolie Haïtienne, qui se livre à des spectacles érotiques avec une copine sur Internet, est enlevée, enfermée, nourrie, et personne ne lui demande rien. Ailleurs : le mignon d’un cardinal est assassiné sans raison apparente.

Tous ces événements sont évidemment reliés et, pendant 475 pages, le rapport n’est pas évident. Lessard se charge de l’enquête mais, comme on le soupçonne de prendre ça trop personnel à cause de ce qu’il a déjà vécu, il est mis sur une voie de garage. Obligé d’enquêter à peu près seul et en cachette, face à une organisation dont les moyens sont énormes, malade, déprimé, blessé, Lessard, pathétique, n’a pour lui que son entêtement nourri par son sentiment de culpabilité. Il arpente Montréal sous la pluie (Michaud, même s’il est né à Québec, est vraiment l’écrivain de Montréal comme Brouillet est la romancière de Québec), en déployant une énergie inépuisable mais, au bout du compte, « il ne sait plus où ni quoi chercher » (p. 428). Le lecteur détient un peu plus d’informations parce qu’il sait ce que « la grosse Taillon » et « la belle Fernandez » ont découvert, chacune de son côté, mais il demeure tout aussi perdu que Lessard. Jusqu’à ce que un beau hasard permette à Taillon de découvrir un dvd révélateur et qu’on apprenne à Lessard, in extremis, comment relier tous les éléments qu’il a découverts.

C’est vrai que Michaud sait comment manipuler son lecteur : un brin de sexualité par-ci, une certaine violence par-là, atténuée par des métaphores si outrées qu’elles semblent avoir pour fonction d’instaurer une distance entre le récit et le lecteur, des chapitres courts qui forcent le lecteur à suivre simultanément plusieurs intrigues toujours inachevées, le procédé agaçant qui fait qu’on en sait toujours un peu plus que l’enquêteur principal et que ça nous énerve qu’il ne téléphone pas à Taillon ou qu’il ne prenne pas les messages de Fernandez. Au centre de tout ça : cet anti-héros pathétique de Lessard, plus courageux que brillant, sur le bord de l’alcoolisme et de la dépression, aux prises avec des adversaires puissants et bien organisés, mais qui n’est pas un loser même s’il sortira de cette histoire passablement amoché. Et le plus déroutant, à mon sens : l’impression de surnager dans une intrigue dominée par l’occultisme et le paranormal, alors que (et j’ai pensé à l’extraordinaire Chambre ardente de John Dickson Carr) une explication rationnelle parvient peut-être à rendre compte de toutes ces extravagances.

Dirais-je que c’est un peu long parce que je n’ai rien pu faire d’autre que le lire pendant quatre jours? Ou que quelques événements sont tirés par les cheveux : le même chien rencontré sur la rue Notre-Dame et au Parc Lafontaine (le même chien selon Lessard, pas nécessairement selon Michaud)? Ou encore que l’élucidation finale adviendra grâce à un beau hasard et un deux ex machina? Même Sherlock et Hercule ont parfois beaucoup de chance.

Longue vie à ce diable d’homme!

Extrait :
Lessard n’aime pas la banlieue.
Perdre deux heures par jour dans le trafic, avoir un voisin qui lave ses deux voitures en string le samedi matin et manger dehors dans la cacophonie permanente des tondeuses à gazon, rien que de penser à tout ça le réconforte dans son choix.
Montréal est sale et laide et désordonnée.
Il aime Montréal !
Il y a un quartier gai, un quartier chinois, la Petite Italie, le Vieux-Montréal, les jolies filles qui font du patin à roues alignées sur la piste cyclable du canal Lachine, des gens de cultures et d’origines différentes, une architecture à la fois cosmopolite, inharmonieuse et singulière, des papiers qui traînent dans les rues, des bordels, de la crasse, du smog, de la sueur, des crachats sur les trottoirs, des clochards, des paumés, des prêcheurs, des crottés, bref un microcosme de la vraie vie.
Tout ça le réconforte, le rassure.  (p. 164)
 

Ma note : 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)choraledudiable-amb

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2 réponses à La chorale du diable – Martin Michaud

  1. ça m’a l’air d’être du lourd dis moi !! Va falloir avoir l’estomac bien accroché apparemment ! je serai assez curieux de le lire en effet ! j’avais bien aimé son premier roman !

    • michel dit :

      Ça n’a pas la légèreté de Lenormand ou de Brandreth, évidemment, mais ce n’est pas si lourd à avaler: on arrive quand le massacre a eu lieu, la violence est le plus souvent indirecte, et le suicide du jeune est voilé et quasi onirique. C’est la grande différence avec Senécal: pas de complaisance dans le morbide. Michaud nous saisit, puis la cuisson se passe à une température plus moyenne. Pas un polar à cauchemars. L’anxiété est liée à l’aspect mystérieux de ce qui se passe. Une anxiété réelle, mais bien tempérée, qui fait partie du jeu.

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