L’Horreur du West End – Nicholas Meyer

Par Michel Dufour

lhorreurduwestendDate de publication originale : 1976 (The West End Horror) Meyer-Nicholas
Date de publication française : 1984 (Fleuve noir)
Genre : Enquête de Sherlock Holmes
Personnages principaux : Holmes, Watson, Shaw, Wilde, Stoker

Les habitués de Holmes et de ses résurgences, pour ne pas dire ses résurrections, connaissent Nicholas Meyer, dont La Solution 7%, en roman (74) et en film (76), fit beaucoup de bruit à l’époque. Plus tard, en 93, Meyer publia un troisième Holmes, Sherlock Holmes et le Fantôme de l’Opéra (The Canary Trainer), que j’avais lu aussi avec plaisir; mais je n’avais jamais réussi à mettre la main sur L’Horreur du West End, qu’un fidèle lecteur et ami vient de me refiler. On devrait pouvoir le trouver aujourd’hui dans n’importe quelle bonne bibliothèque; ça vaut la peine d’aller chercher le roman si vous avez la nostalgie de cet univers londonien glauque de la fin du XIXe siècle que Holmes et Watson ont sillonné avec intelligence et efficacité.

Avertissement : mon appréciation de ce roman va être encore plus subjective que d’habitude; l’univers de Holmes m’a servi de refuge dans mon adolescence tourmentée, et je ne puis qu’être absolument reconnaissant pour tout auteur qui fait renaître cette atmosphère ensorcelante aujourd’hui. De plus, l’action se situe dans le milieu théâtral de 1895, période particulièrement bouillonnante en Angleterre : s’y côtoient Oscar Wilde à la veille de son procès, George Bernard Shaw, déjà connu et craint pour sa dent dure de critique et bientôt reconnu comme grand dramaturge, Bram Stoker qui travaille en secret sur Dracula, et Gilbert et Sullivan qui font la pluie et le beau temps dans le monde de l’opérette.

C’est d’ailleurs Shaw qui demande à Holmes d’enquêter sur l’assassinat du critique théâtral Jonathan Mc Carthy. Contrairement aux allusions de certains commentateurs, le meurtrier est peu vraisemblablement Jack l’Éventreur, puisqu’il ne s’agit pas de son modus operandi et que Jack est disparu de la circulation depuis 1888. Par après, une jeune cantatrice engagée au Savoy se fait égorger; puis, le médecin légiste disparaît, de même que les deux cadavres qu’il examinait. Holmes, Watson et Shaw se font assaillir et on les oblige à boire une bizarre de potion. Pendant ce temps, Lestrade appréhende un immigré indien qu’il tient pour responsable des deux meurtres. Il ne soupçonne certainement pas que si on ne parvient pas à élucider tous ces petits mystères, c’est la sécurité de l’Angleterre, peut-être même de l’Europe, qui est en péril.

Un brin d’exotisme, déguisement adéquat, déduction logique contre préjugé raciste, connaissances scientifiques contre observations superficielles, amicales moqueries à l’égard de Watson mais humble soumission devant madame Hudson, on a là tous les ingrédients des meilleurs récits de Holmes. Sans compter les nombreux petits problèmes rencontrés en chemin et quelques indices semés ici et là. Meyer a su comprendre et reproduire les caractéristiques essentielles des œuvres de Conan Doyle. Et il joue parfaitement le jeu des biographes de Holmes. Les personnages secondaires, sauf Shaw, ne sont pas aussi développés que son Freud (La Solution 7%) ou que le Wilde de Brandreth (nous l’avons rencontré dans Oscar Wilde et les crimes du Vatican, février 2013, et nous le reverrons bientôt dans Oscar Wilde et le meurtre aux chandelles). C’est parce que Meyer focalise moins sur l’époque et le monde littéraire comme tel que sur le duo Holmes/Watson, comme le faisait Conan Doyle lui-même. C’est aussi pourquoi les nostalgiques du grand détective se régaleront de ses rares romans. Les francophones au plaisir inachevé pourront toujours prolonger leur contentement avec le brillant René Réouven, Les Histoires secrètes de Sherlock Holmes (Denoël 2002), livre que j’ai commenté sur Le club des polarophiles québécois, en janvier 2009.
Bref, un très grand plaisir.

Extrait :
Derrière nous, la porte s’ouvrit, et Holmes apparut en manches de chemise (…) Je fis les présentations, et Holmes inclina brièvement la tête à l’adresse du docteur Eccles.
− Un meurtre vient d’être commis, déclara-t-il d’une voix sombre. Tout doit rester intact jusqu’à l’arrivée des autorités. Le docteur Eccles et vous, Watson, pouvez entrer. Monsieur Gilbert, monsieur Carte, je dois vous demander de ne pas franchir ce seuil…
Il s’écarta pour me laisser passer, et, baissant la voix, il ajouta :
− Ce n’est pas beau à voir.
Le spectacle n’était en effet nullement recommandable. Étendue sur un petit divan qui constituait, avec une chaise et une coiffeuse, le seul mobilier de la pièce, reposait une jeune femme −elle ne pouvait avoir plus de vingt-cinq ans− aux cheveux acajou. Son sommeil avait pris fin brutalement. Une estafilade écarlate barrait sa gorge blanche et nacrée, d’où le sang sourdait comme d’un robinet qui fuit, et gouttait jusqu’au sol, où il formait déjà une petite marre.
Le tableau était si affreux, cette fin prématurée si lamentable et si scandaleuse, que nous étions sans voix. Ce fut le docteur Eccles qui, après avoir toussé, entreprit d’examiner le cadavre de la malheureuse enfant.
− La gorge a été tranchée net, constata-t-il d’une voix à peine audible.

Gilbert & Sullivan avait présenté Le Mikado en 1885 au Savoy; 672 représentations avaient eu lieu.

The Mikado ouverture – Gilbert & Sullivan

Ma note : 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5) lhorreurduwestend-amb

 

 

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2 réponses à L’Horreur du West End – Nicholas Meyer

  1. belette2911 dit :

    Hello ^_^

    J’ai découvert ce roman il y a trèèèès longtemps et dévoré de suite (ma PAL à l’époque n’existait pas encore).

    Bien aimé aussi, mais je ne me souviens plus trop de ce qu’il y avait dedans, ma mémoire m’est infidèle…

    C’est bien d’en parler, de faire découvrir d’autres romans aux lecteurs du blog. Je croise souvent ce titre dans les bouquineries de Bruxelles.

    • michel dufour dit :

      J’aime bien de temps en temps porter à l’attention des lecteurs un bon vieil auteur ou un vieux polar de qualité, surtout quand ça fait longtemps que je veux le lire. Vous avez de la chance de le trouver à Bruxelles. A Montréal, il était porté disparu, pour ne pas dire épuisé.
      Merci de ton appréciation, toi pour qui Holmes n’a plus beaucoup de secret.

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