Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 2013 (Il Patto del giudice)
Date de publication française : 2016 chez Seuil
Genres : Enquête, mafia
Personnage principal : Alberto Lenzi, juge en Calabre
Dans une des provinces de la Calabre, les noirs, ramasseurs d’oranges, se révoltent contre leur condition précaire. C’est très mal vu par le reste de la population, blanche et raciste, qui va riposter lançant de terribles chasses à l’homme. Trois noirs sont sauvagement assassinés à coup de barres de fer. Parallèlement une lettre de dénonciation informe le Procureur de la République qu’un trafic de cocaïne aurait lieu dans le port. Le procureur décide de tendre un piège et confie l’affaire au juge Alberto Lenzi. Non seulement le piège ne fonctionne pas mais les deux cents kilos de drogue disparaissent. Le juge Lenzi n’apprécie pas de s’être fait rouler dans la farine et d’avoir sa réputation ternie. Alors, selon son habitude, il va contacter un parrain de la ‘Ndrangheta, l’organisation mafieuse qui règne sur la région, pour obtenir des informations. La police ne sait rien mais la ‘Ndrangheta sait tout. Pour don Mico Rota, chef de bâton (parrain), de la mafia locale, les informations données doivent avoir une contrepartie. C’est un jeu dangereux pour le juge.
Une belle région la Calabre ! Dans ce terroir du sud de l’Italie, à la pointe de la botte italienne, poussent en abondance oranges, mandarines, oliviers et mafieux. La corruption est partout. La ‘Ndrangheta est omniprésente, sait tout, organise tout. Cependant elle est divisée, plusieurs familles sont concurrentes, notamment pour contrôler le port, plaque tournante de tous les trafics. Ce cadre pourrait paraître difficile pour un juge aux pouvoirs limités. Mais Alberto Lenzi est au contraire parfaitement à l’aise. Il passe son temps à draguer les belles femmes, à déjeuner dans les bons restaurants et à jouer au poker. Entre temps il consacre quelques instants aux deux enquêtes dont il a la charge : l’assassinat des noirs et la disparition de la drogue dans le port. Enquêter est un bien grand mot, il ne va pas étudier des indices et établir des preuves. Lui, sa méthode c’est de s’entretenir avec un des chefs mafieux pour obtenir des renseignements. Et là, il faut s’armer de patience. C’est très pénible : les deux interlocuteurs ne se parlent pas normalement ; au début ce sont des tonnes de salamalecs, viennent ensuite les paraboles et les périphrases. Le style est onctueux, l’expression codée est un peu ridicule. Bref, c’est un concours d’hypocrisie. Et ce qui est encore pire, c’est que le type de la mafia, un assassin sanguinaire, en a plein la bouche de mots ronflants tels que honneur, dignité, respect. On se demande s’il en connait le vrai sens ou si ce n’est que cynisme. Quant au juge, il semble éprouver de la considération, parfois même de l’admiration pour le vieux mafioso. Une désagréable connivence s’installe entre eux, jusqu’à ce que leurs intérêts respectifs divergent. J’avoue avoir été un peu agacé par le comportement du parrain mais aussi par ce juge queutard et magouilleur. Le personnage est plus proche du politicard que du juge intègre. En plus nous avons droit à ses déboires sentimentaux et sexuels : il ne comprend pas que les femmes le plaquent sèchement et s’autorisent les mêmes libertés que lui. Dans un sursaut de lucidité l’auteur a dû s’apercevoir qu’à un moment donné, son héros, aussi peu courageux que probe, doit quand même réagir, alors il va lui faire accomplir un acte téméraire qu’il va finalement regretter.
Les personnages, y compris le principal, sont peu sympathiques, mais ils ont l’avantage d’être réalistes. Ce ne sont pas des super-héros mais des types tout à fait ordinaires. On aurait quand même souhaité un peu plus de charisme chez ce juge sensé lutter contre la mafia.
L’intrigue se déploie sur deux volets : l’assassinat des noirs et le vol de la cocaïne. On ne voit pas très bien l’intérêt du premier volet complètement indépendant du second et qui le restera jusqu’à la fin. Des longueurs inutiles alourdissent le livre sans apporter grand chose au déroulement de l’histoire : longues descriptions du paysage, des commérages, des papotages des habitants. À l’inverse, un humour désenchanté avec quelques belles formules, est un des aspect les plus agréables du livre.
Le roman présente un intérêt ethnologique en décrivant, assez complaisamment, le rôle de la mafia dans la Calabre mais en tant que roman il souffre d’un manque de personnages charismatiques, d’une absence de tension dramatique, d’un rythme lent et de longueurs dont on aurait pu nous dispenser.
Après La Revanche du petit juge, c’est la deuxième aventure d’Alberto Lenzi en Calabre. Il y en aura d’autres sans doute. Je ne les lirai pas.
Extrait :
Un bordel infâme, ces temps-ci. Pas à cause de l’enquête sur la mort de Vittorio Spanti. Là, tout était transparent. Même s’il avait été tout de suite évident qu’il serait difficile de coincer qui que ce soit, on avait procédé avec la plus grande méticulosité. Lenzi tenta de se réconforter en se disant que, si on ne trouvait pas de preuves, il n’y aurait personne à arrêter ; et que, s’il n’y avait personne à arrêter, les coupables resteraient libres et ennemis ; si les coupables restaient libres et ennemis, de nouveaux événements étaient à prévoir – et les nouveaux événements, d’ordinaire, c’étaient des meurtres, ce qui ôterait quelques sales types de la circulation, autant d’économisé pour la justice, avec l’avantage de ne pas aggraver la surpopulation carcérale, et la consolation de penser qu’ils se présenteraient couverts de sang, avant leur heure, devant un juge plus sévère, sans appel, qui prononçait des condamnations valables pour l’éternité.