L’héritage des espions – John Le Carré

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2017
(A Legacy of Spies)
Date de publication française : 2018 (Seuil)
Genres : espionnage, historique
Personnage principal : Peter Guillam, disciple de George Smiley

Pour les amateurs de romans policiers, thrillers, romans d’aventures ou d’espionnage, John Le Carré est une institution et n’a plus besoin de présentation1.

1961 : au cours de l’Opération Windfall, l’espion britannique Alec Leamas et son ami Liz Gold sont assassinés au pied du mur de Berlin. Ce double meurtre, apparemment, ne faisait pas partie de l’opération élaborée par George Smiley et son bras droit Peter Guillam.

2017 : plus de 50 ans après, Guillam, qui vit maintenant en Bretagne, est convoqué à Londres et soumis à un impitoyable interrogatoire, qui dure plusieurs jours, par la nouvelle équipe de direction des Services secrets britanniques. La nouvelle génération au pouvoir craint que ses Services ne soient éclaboussés par un procès qui remettrait en question l’intelligence ou la moralité des anciens dirigeants, du moins ceux qui avaient mis au point l’Opération Windfall. Et, pour preuve de bonne volonté et d’une moralité absolument conforme aux normes actuelles, les directeurs d’aujourd’hui sont prêts à sacrifier, sans trop de bruit si possible, les héros d’hier.

On se promène entre 2017 et 1961; plusieurs petits retours en arrière s’insèrent à l’intérieur du grand retour en arrière. En 2017, l’essentiel est une sorte de partie d’échecs entre Guillam, espion à la retraite qui détiendrait des informations de première main sur la mort de son ami Alec, et l’avocat Bunny de l’Espionland-sur-Tamise qui a succédé au Cirque; sa mission est d’obtenir des aveux sur l’objectif de l’Opération Windfall, dans le but de dénoncer et châtier le ou les responsable(s) de la mort d’Alec. Sans quoi, c’est l’ensemble des Services secrets qui seront incommodés par un procès public retentissant mené par les descendants d’Alec et de Liz.

En 1961, c’était la guerre froide. Entre les Britanniques et les Allemands de l’Est, soutenus par les Russes, les agents secrets passent et repassent, s’infiltrent, informent et désinforment, se retournent et se font retourner, de sorte qu’on ne sait plus très bien qui travaille pour qui. Alec avait-il été retourné? Essayait-il, au contraire, de passer pour quelqu’un qui était prêt à se faire retourner ? Et qui l’a tué ? Un Britannique qui pensait qu’il voulait trahir ? Un Allemand qui le prenait pour un espion britannique ? En fait, c’est encore un peu plus compliqué que cela.

On retrouve ce style précis et ironique de Le Carré. Les personnages se multiplient à travers les époques. Le lecteur risque d’être un peu mêlé mais c’est parce que la réalité est mêlante. Comme d’habitude, Le Carré ne nous épargne pas les détails. Pendant des pages et des pages, Guillam lit des rapports, mémos et correspondances extirpés des dossiers supposément secrets. Alors que les James Bond incitent sans doute les jeunes à devenir espions, les agents de Le Carré (et leur travail) serviraient plutôt à les décourager. Malgré un certain suspense qui a rapport avec l’avenir de Guillam et, un peu, avec le sens de la mort de nos espions devant le mur de Berlin, l’ensemble reste un peu difficile à digérer. Je salue l’audace d’avoir écrit ce type de roman. Mais un coup de maître n’est pas nécessairement excitant.

1 cf. mon compte rendu d’Une Vérité si délicate.

 Extrait :
– Il y a quelque chose que je ne comprends pas dans l’opération Windfall et je pense que j’ai le droit de comprendre, lancé-je, enchaînant sur le discours que j’ai préparé.

– Le droit de comprendre ? Par quelle autorité ? Grands dieux, Peter !
– C’est juste une question toute simple, George.
– Je ne savais pas que nous faisions dans les questions toutes simples.
– Quelles sont les attributions d’Alec ? C’est tout ce que je veux savoir.
– De faire ce qu’il est en train de faire, comme vous le savez très bien. De devenir un raté de la vie, un rebut du Service. De paraître colérique, vindicatif, rancunier, susceptible d’être séduit, acheté.
– Mais dans quel but, George ? Avec quel objectif ?
Son exaspération commence à prendre le dessus. Il s’apprête à répondre, puis inspire profondément et poursuit.
– Votre ami Alec Leamas a reçu l’ordre de faire étalage de tous ses défauts notoires, de s’arranger pour qu’ils attirent l’œil des dénicheurs de talents de l’ennemi, avec un petit coup de pouce du traître ou des traîtres parmi nous, et de mettre sur le marché son énorme stock de secrets en y ajoutant quelques articles trompeurs concoctés par nos soins.

Le mur de Berlin

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

 

 

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