Par Michel Dufour
Date de publication originale : 2022 (Druide)
Genres : Enquête, sociologique
Personnage principal : Maud Graham, détective à Québec
L’œuvre de Chrystine Brouillet compte une cinquantaine de romans, dont une vingtaine mettent en scène la détective de Québec Maud Graham et son équipe; ajoutons : et ses amis. C’est pourquoi celui ou celle qui commence à lire Brouillet à travers ce roman risque d’être un peu perdu(e). Les personnages sont nombreux et plusieurs accompagnent la saga Maud Graham depuis plus de 10 ans : son éternel courtisan Alain, son fils adoptif Maxime, leurs amis Grégoire et Michel Joubert. Sans parler des collègues de Maud : Tiffany McEwen, Iris Bouvier, Andy Nguyen… Et quelques autres qu’on a connus dans des épisodes antérieurs : Vivien Joly et Betty Désilets. J’y insiste pour donner du sens au mot saga que j’ai utilisé : il s’agit moins d’un roman policier comme tel que de l’histoire qui se prolonge des aventures de la policière Maud Graham et de ses collègues et amis.
De plus, le roman est conçu à partir du journal personnel de Brouillet élaboré au cours de la pandémie avec le souci d’illustrer son hypothèse que le confinement dû à la pandémie aurait pour effet d’augmenter le nombre des féminicides. On constate, en effet, que de janvier 2020 au 15 juin 2021, plus de 20 femmes ont été tuées par leur conjoint. Le compte rendu de la période pandémique est d’ailleurs digne d’une enquête sociologique et parvient à rendre compte des atmosphères étouffantes qu’on vivait encore il n’y a pas si longtemps.
Thématiquement, l’intrigue se développe autour de l’assassinat d’une jeune femme et de son ancien conjoint par un de ces nombreux hommes que caractérise la haine des femmes. La violence infligée aux femmes est un thème courant chez Brouillet mais ici il prend toute la place. Et, quand elle nous met dans la peau de Ian-Patrick Auclair, c’est assez dur, même pour un homme au-dessus de tout soupçon, de partager, ne serait-ce qu’un instant, les idées des féminophobes. L’auteure nous montre bien qu’un tel individu, qui se sent plutôt isolé dans son milieu, prendra plaisir à se stimuler et à se donner bonne conscience en fréquentant des sites web qui prennent plaisir à répandre la haine des femmes. Difficile de s’imaginer que nous nageons en pleine science-fiction quand, aujourd’hui même, des hommes politiques importants admettent qu’ils étaient, malgré eux disent-ils, en relation électronique avec des sites de ce genre comme MGTOW (Men Going Their Own Way).
Et l’enquête là-dedans ? Comme c’est souvent le cas chez Brouillet, elle passe nettement au second plan. L’astuce à laquelle on a recours pour piéger l’assassin est difficilement crédible. Et de beaux hasards ont été essentiels pour venir en aide aux forces de l’ordre. Mais, dans un roman historiquement important comme celui-là, le travail policier devait demeurer dans l’ombre pour ne pas distraire de l’essentiel.
Extrait :
« Une autre de morte. Elle : sûrement une salope. Lui : un mec trop patient. Qui en a eu marre de l’avertir qu’elle devait changer de comportement. Elle n’en a pas tenu compte, elle l’a sous-estimé comme toutes les autres poufiasses, l’a traité comme un trou’duc, comme Dalida qui décapitait les hommes, comme la Brinvilliers et sa poudre de succession, comme la voleuse Aileen Wuornos. Heureusement, les tordus ne gagnent pas à tous les coups. Les choses vont changer. L’ordre sera rétabli. Unissons-nous contre ces venimeuses. »
Niveau de satisfaction :
(3,5 / 5)