L’énigme de la stuga – Camilla Grebe

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022 (VälkommenTill Evigheten)
Date de publication française : 2023 (Calmann-Lévy)
Traduction (suédois) :
Anna Postel
Genres :
Noir, Enquête
Personnages principaux :
Manfred, inspecteur de police, et Lykke, éditrice

Même si on ne croit plus aujourd’hui que le roman policier est un genre littéraire inférieur, on fait parfois la distinction entre  roman policier et roman littéraire. Ou bien, on va qualifier un polar de littéraire, comme on peut en qualifier un de géographique ou d’historique. C’est ce que plusieurs disent à propos des romans de Camilla Grebe. La distinction n’est pourtant pas satisfaisante parce que, en partant, tout roman est une œuvre littéraire. On sent, malgré tout, qu’il y a une différence entre des romans policiers comme ceux de Grebe et ceux de Dickson Carr, par exemple. Ce dernier en a écrit de très bons mais, dans plusieurs, on a l’impression d’avoir affaire seulement à l’ossature : le roman se réduit à un problème dépouillé de tout le reste, environnement inexistant, personnages à peine ébauchés, histoire simpliste, bref une sorte de squelette. On le lit un peu comme on résout un sudoku. À l’inverse, on a les romans de Camilla Grebe, qualifiés souvent de littéraires. On comprend ce qu’on essaie de dire en employant ce malencontreux adjectif : c’est un roman où le décor est décrit avec soin, mais où surtout les personnages sont développés en détail et où l’histoire est si intéressante qu’on aurait du plaisir à la lire même s’il n’y avait ni cadavre ni criminel.

C’est le cas de L’Énigme de la stuga[1]. Dans la stuga qui jouxte la demeure de Lykke et de Gabriel, les jumeaux David et Harry (17 ans), de même que leur amie Bonnie, passent la nuit où la bande d’amis des parents célèbre la fête de l’Écrevisse. Au petit matin, Bonnie est découverte morte, apparemment asphyxiée; la porte est fermée de l’intérieur (la clé est d’ailleurs dans la serrure)  et les fenêtres sont aussi fermées. Mystère de la chambre close ! Harry et David seront interrogés sans complaisance, gardés en détention pendant huit mois, et libérés faute de preuves suffisantes.

Huit ans plus tard, c’est au tour de Lykke d’être interrogée et détenue. C’est encore l’inspecteur Manfred qui est chargé de clarifier la situation. En même temps, la découverte d’un nouvel élément permet de comprendre ce qui s’est passé huit ans auparavant. Et tirer au clair l’assassinat de Bonnie permet de comprendre ce qui s’est passé aujourd’hui. Du moins, on est porté à le croire…

L’intrigue policière n’est pas négligée malgré la clarté de l’écriture et la subtilité de la composition (ça arrive souvent quand on a écrit une histoire banale et qu’on veut profiter de la popularité des polars : on ajoute un cadavre quelque part et on appelle ça un polar !). L’auteure alterne deux époques, aujourd’hui et il y a huit ans, et les événements sont racontés par Lykke, puis par Manfred. Personne n’est vraiment sympathique (Lykke a tendance à se voiler la vérité, Gabriel est égoïste et mou, Manfred est obsédé par son travail et souvent de mauvaise foi, les jumeaux sont loin d’être parfaits…). Mais la fine description de Grebe nous permet de saisir leurs faiblesses aussi bien que leurs qualités, et de nous rendre compte qu’ils sont, au fond, bien ordinaires, un peu comme nous avec nos grandeurs et nos misères. On s’intéresse à eux parce qu’on veut voir comment leur vie se développera, mais aussi, évidemment, parce qu’on veut comprendre comment se sont déroulés les deux meurtres.

Bref, un gros roman qu’on lit rapidement et dans l’allégresse.

[1] En Suède, ce terme désigne une sorte de petite cabane rudimentaire, en bois, au confort minimal.

Extrait :
Quelques heures plus tard, il faisait nuit noire, l’air s’était rafraîchi et chargé d’humidité. En jetant un coup d’œil autour de moi, je constatai que le dîner se muait en soirée dansante, comme d’habitude.
Harry et David avaient sorti la chaîne hi-fi et le rap à plein volume faisait vibrer les arbres fruitiers et les rosiers secs.
Jujje et Tuss dansaient sur la pelouse, un verre à la main. Ou plutôt, Jujje dansait, mais Tuss se balançait sur place, les yeux fermés. Son gilet avait glissé, dénudant une épaule. Sa manche traînait par terre (…)
Olov leur lançait des regards agacés.
Je dus m’appuyer sur la table pour débarrasser sans tituber. Ça m’étonna un peu, bien sûr que j’avais pas mal bu, mais je pensais mieux tenir l’alcool.
Gabriel s’approcha, me prit les assiettes des mains, les posa sur la table et écrasa sa cigarette dans une tête d’écrevisse. Puis, il me saisit par la taille et m’attira vers lui.
Je peux ?
Je lui souris, plaçai les mains autour de son cou, surprise comme souvent par l’attirance si forte que je ressentais encore pour lui, que ni les enfants ni les années n’avaient émoussé.
Je t’aime, dit-il.
Il m’embrassa dans le cou, laissa glisser une main vers mes fesses.

Une stuga

Niveau de satisfaction :
4.6 out of 5 stars (4,6 / 5)
Coup de cœur

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