Par Raymond Pédoussaut
Date de publication originale : 1952 (The Wonderful Country)
Date de publication française : 2015 (Actes Sud)
Genre : Western
Personnage principal : Martin Brady, américain vivant au Mexique
Le jeune Martin Brady a tué l’assassin de son père lorsqu’il était adolescent. Pour échapper à la justice, il s’est enfui au Mexique où il a trouvé une famille d’accueil. Lorsqu’il a eu besoin de gagner lui-même sa vie il est devenu pistolero, homme de main, au service de deux riches et ambitieux frères mexicains qui se livrent à de juteux trafics. Lors d’une livraison à Puerto, petite ville du Texas près de la frontière, il a un accident : son cheval, effrayé par une boule d’amarante, tombe sur lui et lui casse la jambe. Il est soigné et hébergé pendant quelque temps à Puerto. Remis sur pieds, il tue un homme lors d’une bagarre. Il est de nouveau contraint de s’échapper vers le Mexique. C’est là que plus tard il aidera une compagnie de soldats américains dont l’officier qui la commande a été gravement blessé lors d’un accrochage avec les indiens Apaches. Il guidera les soldats à travers la sierra jusqu’à leur base, à Puerto. Il apprendra alors que l’homme qu’il a tué était un bandit recherché, dont la tête était mise à prix. Non seulement il ne sera pas arrêté pour ce meurtre mais au contraire on doit lui verser une récompense de cent dollars. Autre récompense pour lui : il est enrôlé dans les Rangers. Encore une fois il va retraverser la frontière pour se rendre au Mexique où les soldats américains vont faire la chasse aux Apaches, en accord avec les autorités mexicaines.
The Wonderful Country (titre américain) est le roman de la frontière. L’intrigue nous amène alternativement d’un côté à l’autre de la frontière Texas-Mexique. À peine Martin Brady passe cette frontière dans un sens qu’il est contraint de la repasser dans l’autre sens peu de temps après. Chaque fois il est bien accueilli. Plus jeune, une famille mexicaine l’a recueilli et aidé comme son propre fils. Blessé au Texas, il est soigné, hébergé, il se fait des amis. Reparti au Mexique il crée des liens affectifs forts avec une autre famille mexicaine. Retour au pays natal : c’est une récompense de cent dollars et un poste dans les Texas Rangers, sans compter son béguin pour la fille du capitaine des Rangers. Mais chaque fois qu’il commence à se sentir chez lui, il doit repartir de l’autre côté de la frontière où il redeviendra un étranger. C’est un déracinement permanent.
Ses sauts successifs par dessus la frontière amènent Brady à se poser des questions sur son identité. Sur sa double identité en fait : Mister Martin Brady ou señor Martín Bredi ? « J’aurais aimé être clairement l’un ou l’autre. Au fond de moi, j’aurais aimé ne pas être partout l’étranger, ne pas être nulle part chez moi. ». Voilà le problème de Brady (ou Bredi) remarquablement posé par Tom Lea. « Un homme doit vivre là où il se sent chez lui. » le conseille judicieusement son ami Santiago Santos quand Brady se demande où est sa place.
Comment aussi ne pas remarquer la place occupée par la nature et la façon extraordinaire dont l’auteur sait la rendre par des mots. Pas uniquement avec des mots d’ailleurs puisque dans cette excellente édition d’Actes Sud on trouve des dessins magnifiques de l’auteur (quelques uns illustrent cette chronique). De longs passages sont consacrés à la description des éléments : le vent (surtout), la poussière, la pluie, le froid, la neige, les paysages, le relief … Dans ces passages le roman devient quasiment mystique et contemplatif.
L’aventurier du Rio Grande n’est pas un western classique : rythme lent, peu d’affrontements, beaucoup de descriptions. Il ne faut pas attendre de ce western des duels, des bagarres. Il faut se laisser imprégner par l’ambiance, par le lyrisme du roman.
Le livre a été adapté au cinéma par Robert Parrish. Le film est sorti en 1959 avec Robert Michum dans le rôle de Martin Brady. J’en dirai quelques mots après cette chronique.
Extrait :
— Señor, croyez-moi. Tout ce temps que j’ai passé à Bavinuchi… Je voudrais que vous compreniez… Mais ces gens… De mon pays, dans un tel pétrin… Vous voyez bien !
— Écoute-moi, Martín. Je voulais pas te le dire, mais tant pis. Pour moi, tu fais partie de la… de Bavinuchi… Tu es comme un fils, comme Andrés, comme Agustín !
Martin baissa les yeux et fixa les sabots boueux de Lágrimas dans les épines de pin humides.
— Il y a quelque chose que j’ai répété pendant toute ma vie au Mexique. Mais pour la première fois, je peux le dire du fond du cœur : je suis là pour vous servir. Est-ce que vous voulez que je reste ?
Les yeux de miel brillèrent de lueurs ambrées en fixant Martin.
— Non. Je t’ai dit une fois : un homme doit vivre là où il se sent chez lui. Il doit faire des choix.
Ils se mirent en selle et s’élancèrent vers les ruines grises.
Le film
Film de Robert Parrish (1959) avec Robert Mitchum et Julie London.
Je précise que je ne fais pas la chronique du film de Parrish. Je fais simplement un compte-rendu de la façon dont le cinéaste a tiré parti du livre de Tom Lea. Le livre n’est pas le scénario du film, c’est la base sur laquelle s’est appuyé Parrish pour faire son film. Le scénariste du film est Robert Ardrey. Cependant on peut affirmer que globalement l’intrigue du roman est respectée dans le film. La grosse différence est l’histoire d’amour entre Martin Brady et Hellen Colton l’épouse du major. Dans le roman Brady a le béguin non pas pour l’épouse du major mais pour la fille du capitaine des Rangers, Louisa Rucker. Il ne se passe rien entre eux. Brady est très attiré par la jeune fille mais ce n’est qu’un espoir. Alors que dans le film se développe un amour coupable entre Hellen Colton et Brady. Un brady qui se montre à l’occasion un tantinet mufle alors qu’Ellen, qui n’aime pas son mari, est dans une quête pathétique de l’homme, le vrai comme elle dit, celui qu’elle attend depuis toujours, qui sait s’engager, pas celui qui règle les problèmes avec les machines à tuer. Parrish a dû estimer qu’il fallait une histoire d’amour un peu plus consistante que les émois d’adolescent de Brady dans le roman. Pour cela il a confié le rôle féminin à une actrice célèbre, Julie London, qui équilibre un peu les nombreuses présences masculines. La relation extraconjugale d’Hellen Colton avec Brady devient carrément un amour interdit et désespéré après la mort de son mari le major Coltron. Cet ajout par rapport au livre ne trahit nullement l’esprit du roman, il ajoute même une touche de mélancolie supplémentaire. Dans le bouquin Hellen a un destin différent, encore plus tragique mais bien plus discret. D’autres évènements, moins importants, ont été également modifiés : Ludwig Sterner (Chico) est tué dans le film alors qu’il n’est qu’amoché dans le livre; un des frères Castro fait assassiner l’autre dans le film, dans le roman ce n’est présenté que comme un projet.
La question de l’identité de Brady qui est toujours un étranger, gringo au Mexique, chicano aux États-Unis, est traitée un peu différemment dans le film : ce sont plutôt les autres qui considèrent Brady comme un étranger alors que c’est lui qui s’interroge sur son identité dans le livre. Lorsque le docteur Stovall choisit des vêtements américains neufs pour remplacer les vieux vêtements pourris de Brady, celui-ci les enfile mais pour le chapeau il préfère conserver son vieux sombrero plutôt que le stetson neuf. Ainsi il est habillé en américain mais coiffé comme un mexicain. C’est le symbole même de la double appartenance de Brady.
D’autre part Parrish a bien réussi à recréer les formidables descriptions de la nature de Tom Lea : les paysages, les lumières du Mexique sont merveilleusement rendus. Le vent violent, la poussière, ouvrent aussi magistralement le film que le roman.
Parrish a parfaitement adapté le roman de Tom Lea au cinéma. Il a intelligemment élagué certaines parties, modifié d’autres, mais le film reflète parfaitement l’esprit et l’ambiance du roman.
La bande annonce, présentée ci-dessous (qui semble être tournée à cheval à cause de son balancement), concentre les moments d’action du film mais elle ne reflète pas son ambiance générale qui est plutôt mélancolique.
Bande annonce de The Wonderful Country (VO)