Ces femmes-là – Ivy Pochoda

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2020 (These Women)
Date de publication française : 2023 – Éditions Globe
Traduction (américain) :
Adélaïde Pralon
Genre :
Roman noir
Personnages principaux :
Dorian, Feelia, Essie, Julianna, Marella et Anneke, femmes d’un quartier pauvre de Los Angeles

West Adams, était autrefois un quartier huppé de Los Angeles avant que la population noire ne soit autorisée à s’y installer et que les urbanistes n’aient pas hésité à couper le secteur en deux en y faisant passer la l’autoroute 10. Maintenant les habitants sont en majorité des noirs et des latinos, on y trouve des magasins bas de gamme et des restaurants à petits prix. Et des prostituées. Ces dernières restent hantées par le souvenir du meurtre de treize d’entre-elles, sans que personne n’ait été inquiété pour ça. Mais voilà que quinze après les assassinats reprennent de la même façon : gorge tranchée et sac de plastique sur la tête.

La période du récit va alternativement de 1999 à 2014. 1999 est la date où un tueur en série a commencé à faire ses premières victimes pour atteindre ensuite le total de treize, dans l’indifférence des autorités et de la police. C’est en 2014 qu’il a repris ses activités après une interruption de quinze ans. L’autrice nous raconte la vie dans ce quartier déshérité de Los Angeles à travers la vision de six femmes.
– Dorian tient un petit restaurant de poissons. C’est la mère de Lecia qui a été égorgée par le tueur en série qui s’en prenait aux prostituées. Pourtant Lecia n’était pas prostituée.
– Feelia est une ancienne prostituée qui a été attaquée par le tueur, mais elle s’en est sortie. Elle garde une impressionnante cicatrice au cou. Elle harcèle la police en affirmant qu’une femme l’espionne tout le temps. Bien sûr elle ne reçoit que des ricanements en retour.
– Essie est une policière latina, blonde (pas naturelle) de seulement 1,50 mètre. Sa petite taille et sa façon d’être lui valent le mépris et les railleries de ses collègues masculins, mais finalement c’est la seule à s’intéresser à cette série de tueries, la seule aussi à faire avancer l’enquête.
– Julianna est une prostituée jeune et attirante. Aussi libre qu’on peut l’être dans sa situation, elle est totalement incontrôlable. Elle a l’habitude de prendre des centaines de photos de rue et de la vie ordinaire.
– Anneke est une femme de devoir obsédée par l’ordre, la protection de la famille, l’entretien de la maison et la sauvegarde des apparences.
– Marella est la fille de Anneke, c’est une artiste qui fait des performances en utilisant des écrans et des ordinateurs. Elle a grandi loin de ses parents qu’elle connaît peu finalement.

Il n’y a que des femmes dans ce roman, les hommes sont absents et quand ils sont évoqués c’est sous forme de menace diffuse à cause de leurs besoins et de leurs exigences ou d’un danger bien réel quand il s’agit du tueur. L’autrice donne au passage une image peu flatteuse de la police, pas concernée par les meurtres de prostituées, noires de surcroît, et totalement incapable d’entendre le moindre témoignage venant de ces femmes-là.

Ces femmes-là est un roman d’ambiance très réaliste. C’est un bon roman noir, original par sa forme et par le point de vue choisi par l’autrice, celui des victimes.

Extrait :
– Il ne s’agit pas de résoudre des meurtres commis il y a plus de dix ans. Il s’agit de réparer une injustice.
Sa voix est forte, rageuse et ferme. Elle ébranle Anneke.
– Il s’agit de comprendre pourquoi l’assassin de nos filles a été en liberté pendant toutes ces années, pourquoi la police n’a rien fait à propos de la mort de nos filles. Pourquoi ils s’en fichaient. Pourquoi ils ont regardé ailleurs. Il s’agit de comprendre pourquoi la police pense que nos filles n’en valent pas la peine.
Dorian tient un poster montrant le visage de sa fille.
– Voilà pourquoi, dit-elle en désignant la joue de Lecia. Voilà pourquoi, crie-t-elle. À cause de sa couleur de peau.

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

Publié dans Américain, Remarquable, Roman noir | 2 commentaires

Rien – Jean-Jacques Pelletier

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Alire)
Genre :
Thriller
Personnage principal :
Dufaux, inspecteur-chef (SPVM)

Pas facile de résumer les romans de Pelletier, parce que les événements revolent de tous bords et de  tous côtés, en même temps. Le lecteur doit affronter un volume qui l’oblige à prendre son temps et à se munir d’un crayon, même si l’auteur nous offre une annexe des sept membres de l’équipe de Dufaux, des seize personnages principaux, des trente-cinq personnages secondaires et des six groupes notoires qu’on devra fréquenter. Pelletier vise une certaine forme de réalisme : pour lui, nous sommes assaillis continuellement par toutes sortes d’informations qui nous arrivent de partout; ainsi, dans ses romans, et particulièrement dans celui-ci, un groupe de musique trash est tenu en otage, le directeur du SPVM est assassiné, on apprend que, en Nouvelle-Zélande, un fleuve (sic) poursuit des pollueurs, un témoin supposément mort, s’évade d’une fourgonnette alors qu’il était en route vers une résidence protégée, et rencontre sir Charles Paul, qui bénéficie d’un traitement médical qui lui assure une longévité fort agréable.

Ce qui donne une certaine unité à tout ça, c’est un thème cher à Pelletier : le monde court à son anéantissement, le grand rien, en polluant et en détruisant la nature, en favorisant les changements climatiques, en pratiquant l’extermination de centaines d’espèces de plantes et d’animaux. En réaction contre l’indifférence des masses et l’incapacité de trouver une riposte efficace, des écoterroristes bloquent les ponts; des milliardaires se font assassiner. Mais ils ne font pas le poids : derrière les forces du capital et de l’industrie, une puissante organisation, la Liste XIII, accentue la disparition de notre espèce tout en se préservant des conditions de vie qui leur seraient favorables.

Dufaux et sa brigade bénéficieront des informations fournies par des agents infiltrés ou par des membres de l’organisation qui craignent une large épuration pour colmater les fuites. Ce n’est pas l’intelligence des policiers qui nous fascine. Sauf une exception, les personnages créés par Pelletier, même si on les retrouve dans un quatrième roman, ne sont pas individuellement si importants ni si attachants (comme un Holmes ou un Poirot, par exemple). L’important c’est leur solidarité, donc le groupe auquel ils appartiennent. L’exception, c’est la jeune Maryann, rare personnage à laquelle on s’attache et qui a séduit Pelletier malgré lui, puisqu’il lui a laissé beaucoup plus de place que prévu. Un deuxième facteur nous incite à persister dans notre lecture, c’est l’actualité du problème et la connaissance des lieux. Ça nous implique : veut, veut pas, on fait partie de ces événements et on reconnaît notre impuissance face à la décadence amorcée.

Extrait :
Antoine Pinoré tenait à l’annoncer personnellement aux responsables syndicaux de ses usines en France : il y aura une réduction majeure des effectifs et la révision draconienne du plan social.

Avant même d’avoir terminé, il a eu droit aux inévitables crises de nerfs et aux invectives des dirigeants syndicaux. Pendant une dizaine de minutes, il s’est efforcé de les écouter pour ne pas jeter d’huile sur le feu.
Puis, après les avoir laissés se défouler, il a déposé son ultimatum final :
─ Vous avez trois jours pour accepter les offres. Sinon, je ferme toutes les usines et je transfère la production dans des pays où les ouvriers vivent avec une fraction de votre salaire.
─ Vous n’avez donc aucune conscience sociale ? proteste le représentant de la CFDT.
─ Au contraire. Je vous parle d’ouvrir une usine dans un pays où la majorité des jeunes sont sans emploi. Et je vais tripler les salaires qui y sont habituellement offerts. Ça n’est pas de la conscience sociale, ça, s’occuper des plus défavorisés ? Il n’y a rien de plus éthique que la mondialisation !

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

Publié dans Québécois, Remarquable, Thriller | Laisser un commentaire

Sarek – Ulf Kvensler

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2022 (Sarek)
Date de publication française : 2023 – Éditions de La Martinière
Traduction (suédois) :
Rémi Cassaigne
Genres :
Suspense, aventures, thriller psychologique
Personnages principaux :
Anna, Henrik, Milena et Jacob, randonneurs dans le parc de Sarek

Anna, Milena et Henrik habitent Stockholm, ils se connaissent depuis des années. Anna et Henrik sont en couple, Milena est leur meilleure amie. Comme chaque année, pendant leurs vacances, ils décident de faire une randonnée en montagne, mais cette année c’est différent car Milena demande d’amener son nouveau compagnon Jacob qui est un montagnard aguerri. Avant d’accepter, Anna se renseigne sur Jacob. Elle découvre des éléments qui l’inquiètent, mais pour ne pas vexer Milena, elle accepte la présence de ce nouveau venu dans leur groupe. Juste avant le départ, Jacob propose un changement d’itinéraire, il suggère d’aller dans le Sarek, car tant qu’on n’a pas fait le Sarek, on n’est jamais vraiment allé à la montagne. Après bien des réticences, les trois autres finissent par accepter cette proposition. C’est le début d’une rude aventure dans le parc sauvage du Sarek.

Dès le départ nous savons que le périple dans le Sarek va tourner à la catastrophe puisque les premières lignes du roman racontent qu’Anna a été secourue par un hélicoptère-ambulance qui la transporte à l’hôpital. Elle est mal en point, en hypothermie, avec des contusions multiples sur tout le corps et des marques de strangulation. Tout le suspense consiste alors à savoir ce qu’il s’est passé.

Dans un premier temps tout est normal. C’est rude, difficile, mais magnifique. Anna et Jacob sont des pratiquants chevronnés de la randonnée et de l’escalade, ils progressent facilement, ils sont toujours en tête, alors que Milena et Henrik peinent davantage, ils avancent laborieusement. La condition physique des participants fait que le groupe de quatre se scinde en deux. Anna marche avec le compagnon de Milena et Milena marche avec le compagnon d’Anna, ce qui va provoquer les premiers problèmes. Il y en aura bien d’autres. L’auteur doit être lui-même un adepte des randonnées en montagne, car il nous fait une description précise avec beaucoup de détails : le matériel, les paysages, les torrents, la pluie, la neige, les campements, le froid, l’humidité … C’est très réaliste, on s’y croirait vraiment.

Dans une deuxième partie, le roman d’aventures bascule dans le drame psychologique. La rudesse du terrain exacerbe le caractère de chacun. Après avoir suivi le point de vue d’Anna dans la plus grande partie du livre, nous avons la vision des faits de Milena. Deux versions différentes des évènements vont alors se confronter. Le lecteur est plongé dans l’incertitude. Tout finit par s’expliquer, mais pas de la façon que l’on pressentait au début.

Sarek décrit une expédition ardue dans la magnifique et impitoyable montagne suédoise qui dégénère en tragédie quand la fatigue et l’épuisement révèlent les failles psychologiques de certains. C’est un excellent roman, totalement captivant.

Extrait :
Là-haut, sur la montagne, Henrik est seul dans la tempête de neige, et je ne vais pas réussir à le rejoindre. Nous pourrions tous les deux mourir ici.

Cela semble une bonne occasion pour céder à la panique.
Un sentiment farouche et incontrôlable s’empare de moi, comme si une bête féroce me reniflait les basques, me forçant à fuir au plus vite. Ma vie en dépend, et j’oublie tout ce que je sais sur les techniques de course économes en énergie pour me ruer, prenant mes jambes à mon cou. Je ne sens plus la fatigue dans mes jambes, ni la douleur de mes poumons.
Peut-être est-ce là la réserve d’énergie de secours dont j’ai besoin ? qui va me faire traverser le mur ?
Mieux que toutes les boissons énergisantes du monde : l’angoisse de mort.

Henrik ne connaît pas Melissa Horn. Je lui explique que c’est une songwriter suédoise. Il ne sait pas ce qu’est une songwriter.

Melissa Horn – Regnet

Parc de Sarek en Suède

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

Publié dans Aventure, Remarquable, Suédois, Suspense, Thriller | Laisser un commentaire

Femmes de désordre – Catherine Côté

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (VLB)
Genres :
Enquête, sociologique
Personnage principal :
Suzanne Gauthier, journaliste

Sang d’Encre Polars a publié le 20 décembre 2020 mon commentaire sur le premier polar de Catherine Côté, Brébeuf. Ce roman-ci est présenté comme un roman noir, on retrouve le policier Marcus O’Malley, son ami Léopold, ex-flic qui revient de six ans passés à travers la Deuxième Guerre mondiale, la femme de Léopold, Suzanne, journaliste au Montréal Matin, et Adèle Dubosc policière à l’escouade de la Moralité.

L’action se passe après la guerre dans le Red Light[1], quartier de Montréal renommé pour ses bars louches et ses bordels très achalandés. La prostitution, gérée par la pègre, est passablement protégée par des policiers corrompus. C’est la principale raison pour laquelle Pacifique Plante a instauré une vaste enquête sur la moralité dans le but de fermer bien des établissements et en finir avec la corruption.

Dans le bordel de Mrs Louise, un client (un dénommé Bouchard) est assassiné. O’Malley enquête, multiplie les interrogatoires, essaie de réfléchir entre deux bouteilles de Rye, mais en vain : on est en face d’une sorte de mystère de la chambre close, dans la mesure où ceux qui étaient dans la maison étaient occupés et où, d’après Mrs Louise qui recevait les clients à l’entrée, personne n’était sorti. O’Malley, qui en a plein les bras, charge son ami Léopold d’enquêter sur la disparition de Réginald Courcelles. Puis, Lyne Lamontagne, qui travaillait chez Mrs Louise, est retrouvée assassinée. Et, pendant tout ce temps, un sombre individu semble surveiller les travailleuses du sexe et Suzanne, qui écrit plusieurs reportages sur les mauvaises conditions de travail des prostituées.

On finira par retrouver Courcelles et comprendre pourquoi Bouchard et Lyne Lamontagne ont été tués, grâce à des témoins qui reviennent sur leur déposition, mais O’Malley ne fait pas le poids face à la pègre. Et l’histoire finira en queue de poisson.

Pour apprécier ce long roman, il faut le lire comme un reportage sur la prostitution dans le Red Light de Montréal après la guerre, plus précisément comme un plaidoyer pour améliorer les conditions de travail des prostituées. Plaidoyer qui s’inscrit dans le plus large problème des relations hommes/femmes au Québec à cette époque, plus particulièrement au sein des forces policières (par exemple, les policières n’ont pas le droit de porter des armes!).

Roman noir, polar ? Pas vraiment. Les policiers tâtonnent jusqu’à ce qu’on leur livre les informations cruciales et, surtout, la boucle n’est pas bouclée. Au mieux, faudrait voir ça comme le premier tome d’une histoire à venir. Mais alors, aurait fallu nous prévenir. La trame policière, au fond, apparaît plutôt comme un prétexte pour parler d’autre chose.

[1]  Littéralement Lumière Rouge.

Extrait :
Comme ils en avaient convenu au téléphone, Suzanne Gauthier se présente au domicile de Pacifique Plante à 9 heures pile. La journaliste s’avance d’un pas ferme vers l’imposante maison. Son cœur tressaute chaque fois qu’un homme surgit au coin de la rue, mais ce n’est jamais son rôdeur. L’aurait-il suivi jusqu’ici, de toute manière ? Elle tente de se ressaisir. Ce n’est pas le moment de se livrer à la peur, elle a beaucoup à faire. Après sa conversation avec Adèle Dubosc, Suzanne a contacté des amis de son père pour savoir à qui elle pouvait s’adresser pour rencontrer « le justicier de Montréal », comme plusieurs le surnomment : Pax Plante, le réformateur bien connu de la Moralité. Malgré toute cette histoire, Suzanne souhaite toujours venir en aide à son amie qui semble si désabusée par sa carrière. Elle espère y parvenir en vantant ses mérites auprès du grand patron. Peut-être même qu’il pourrait se laisser convaincre d’envoyer quelques constables surveiller le Mrs Louise ? Tant qu’à faire : d’une pierre deux coups.

Le Red Light

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

Publié dans Enquête, Moyen, Québécois, Sociologique | Laisser un commentaire

La somme de toutes nos larmes – Jean-Christophe Boccou

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – HarperCollins
Genre :
Thriller
Personnages principaux :
Zéphyr, sorcier vaudou – Nylah, sœur de Zéphyr – Hugo Pétrie, capitaine de police

En Haïti, quatre soldats de l’ONU, qui se font appeler les Lougawous, massacrent une famille : le père est brûlé, la mère pendue, le fils abattu d’une balle dans l’œil, seule la petite Nylah, 10 ans, est épargnée et confiée à un prêtre qui fait partie du groupe. Vingt ans plus tard, on apprend que le fils, Zéphyr a survécu par miracle, il cache son visage ravagé derrière un masque confectionné par sa tante Marinette, une mambo, une sorcière vaudoue. Zéphyr, formé par Marinette, est devenu un oungan, un prêtre vaudou. Il est assoiffé de vengeance, il entreprend de retrouver les Lougawous et de les faire payer pour ce qu’ils ont fait à sa famille.
En France, le capitaine Hugo Pétrie enquête sur un curé que l’on a enterré vivant. L’homme a réussi à se déterrer, mais il a perdu la raison. Lors de la traque d’un suspect, un jeune policier qui accompagnait le capitaine Pétrie dans sa mission est tué. Celui-ci fait la promesse à la mère du policier de retrouver l’assassin de son fils. Ses investigations l’amènent en Haïti où tout a commencé.

L’intrigue est sophistiquée et bâtie pour réserver une belle surprise aux lecteurs. Deux traques sont menées en parallèle : celle de Zéphyr pour se venger de ceux qui ont anéanti sa famille et celle du capitaine Hugo Pétrie pour retrouver l’assassin de son jeune partenaire.

Une bonne partie de l’histoire se déroule en Haïti. L’auteur décrit ce pays comme étant en état de putréfaction. Détritus et immondices dans les rues. Tas d’ordures et flaques nauséabondes partout. Des milliers de cabanes en tôle sur les collines. Le climat lui-même est hostile : des ouragans et des séismes à répétition frappent le pays. À cela s’ajoutent la corruption à tous les niveaux et les trafics, tandis que la population vit dans la plus grande précarité. Dans la capitale Port-au-Prince, Cité Soleil est le plus grand bidonville de l’hémisphère Nord, c’est aussi le repaire des pires gangs. « La vie n’a pas plus d’importance qu’un sac-poubelle éventré dans Cité Soleil. » Haïti est donc un pays extrêmement dangereux pour un blanc fraîchement débarqué comme Hugo Pétrie qui en plus va fourrer son nez un peu partout. Et puis il y a le vaudou omniprésent. La plupart des Haïtiens sont de fervents catholiques, mais ils sont aussi adeptes du vaudou. Les sorciers et sorcières sont redoutés, c’est particulièrement le cas de Marinette, une mambo qui inspire la crainte. Elle est surnommée Gran Bwa, Grand Arbre en créole.

Jean-Christophe Boccou semble attiré par les pays qui conservent des traditions ancestrales et archaïques : la vengeance codifiée en Albanie dans son premier roman La Vierge jurée et le vaudou en Haïti dans ce dernier livre. Ces pratiques, qui paraissent anachroniques dans notre monde de réseaux sociaux et d’intelligence artificielle, donnent aux romans de cet auteur une coloration mystique et hors du temps tout à fait originale.

La somme de toutes nos larmes est un thriller haletant, avec une intrigue surprenante. Une bonne lecture, à la fois divertissante et édifiante sur Haïti.

Extrait :
— Ces gangs sont des pourritures qui plongent notre pays dans les ténèbres un peu plus chaque jour. Ce sont les créatures maléfiques d’un prêtre défroqué qui nous a gouvernés pendant trop longtemps.

— Tu parles de Jean-Bertrand Aristide ?
— Exactement. C’est lui qui a créé les Chimères et les a encouragés à répandre le mal à son profit. Nous étions fiers, autrefois. Fiers et heureux que notre pays devienne la première république noire des temps modernes. Et aujourd’hui, qui sommes-nous ? Cette terre n’est plus qu’un champ de ruines et de désolation. Quand les gangs ne tuent pas nos familles et nos amis, c’est notre terre elle-même qui se retourne contre nous. Toutes ces tempêtes, tous ces tremblements de terre, c’est la colère de nos ancêtres qui nous dégringole sur le coin de la figure.

Cérémonie vaudou en Haïti

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

Publié dans Français, Remarquable, Thriller | 2 commentaires

Inventaire fatal – Miranda James

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2011 (Classified as Murder)
Date de publication française : 2023 (Flammarion)
Traduction (américain) :
Guillaume
Le Pennec
Genre :
Enquête
Personnage principal :
Charlie Harris, bibliothécaire

Le bibliothécaire Charlie Harris, après la mort de son épouse et de sa tante, s’est exilé à Athena dans la maison que cette dernière lui a léguée, où il vit maintenant seul avec son chat fidèle, un Maine coon qui ne pèse pas loin de 30 livres (quinze kilos). Son fils Sean est resté à Houston où il est avocat, et sa fille Laura travaille à l’autre bout du pays. Charlie, maintenant retraité après avoir été gérant de bibliothèque à Houston, fréquente surtout les librairies et travaille comme bénévole à la bibliothèque de l’université trois jours par semaine.

M. Delacorte, un millionnaire qui possède un des plus beaux manoirs d’Athena, demande souvent l’aide de Charlie à la bibliothèque, parce qu’il est allergique aux ordinateurs. Il possède une riche collection de livres anciens et propose à Charlie de l’engager pour en faire l’inventaire. Charlie accepte avec joie, mais M. Delacorte meurt empoisonné. Comme il soupçonnait quelqu’un de la famille de voler ses livres, la shérif Kanesha Berry demande à Charlie de continuer son travail et de tenter de trouver des indices sur cet éventuel vol de livres. Charlie hésite, mais il sera assisté par son fils qui vient d’arriver de Houston et par un policier qui surveillera la bibliothèque. Par ailleurs, on lui permettait d’emmener son gros chat qui ne le quittait pratiquement jamais.

Delacorte abritait sa famille au sens large : sa sœur Daphné, une hypocondriaque, Hubert, le fils de Daphné, un profiteur violent et paresseux, sa femme Éloise, qui semble plutôt demeurée, les petits-enfants des deux frères décédés de Delacorte, Stewart, maître de conférences au département de chimie, et Cynthia apparemment indifférente et hautaine. Faisant pratiquement partie de la famille, Truesdale, le majordome, qui semblait connaître Delacorte depuis toujours. On peut comprendre que Charlie hésitait à affronter une faune pareille.

Charlie est aussi préoccupé par sa relation avec son fils, qui ne semble pas dans son assiette. Mais la mort d’Éloise relancera bientôt la chasse au voleur et à l’assassin.

C’est un roman plaisant qui se lit tout seul; une sorte de cosy mystery dans le genre de Elle écrit au meurtre. Malgré l’aspect dramatique de l’histoire, l’amitié naissante entre le chat Diesel et le chien Dante de Sean détend continuellement l’atmosphère. Ce roman fait d’ailleurs partie de la suite Le chat du bibliothécaire (c’est le deuxième). On se doute bien que tout cela finira bien, mais l’intérêt n’en reste pas moins soutenu.

Extrait :
Les trois fauteurs de trouble se turent sous l’effet de la surprise. Le majordome les gratifia d’un reniflement méprisant, rajusta les manches de sa veste puis inclina la tête en direction de l’avocat.

─ Poursuivez, je vous en prie, monsieur Pendergrast.
─ Merci. C’est justement ce que je comptais faire, répondit l’avocat, toujours pince-sans-rire.
Il tourna la page et se mit à lire :
─ « À Nigel Truesdale, mon serviteur de longue date, j’offre l’occasion de prendre la retraite qu’il attendait depuis maintenant plusieurs années. Je ne serai plus là pour vous assister, Nigel. À vous donc de prendre soin de ce qui vous appartient. Je laisse à Nigel Truesdale l’essentiel de mes biens et ce manoir jusqu’à la fin de sa vie, à l’exception de certains legs spécifiques détaillés ci-après. »
Tous les regards étaient à présent tournés vers le majordome. Celui-ci, blanc comme un linge, tituba et s’évanouit. Son corps inerte bascula en avant par-dessus le sofa et s’écrasa sur Daphné Morris.

Un Maine coon

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

Publié dans Américain, Enquête, Remarquable | Laisser un commentaire

Les derniers géants – Ash Davidson

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 (Damnation Spring)
Date de publication française : 2023 – Actes Sud
Traduction (américain) :
Fabienne Duvigneau
Genres :
Roman noir, écologie
Personnages principaux :
Rich Gundersen, bûcheron, son épouse Colleen et leur fils Chub

Richard Gundersen, que tout le monde appelle Rich, est un grand gaillard de deux mètres, âgé de 53 ans. Il est grimpeur-élagueur depuis 38 ans dans une grande société de commerce du bois. Il a épousé une jeunette de 34 ans, Colleen, avec qui il a eu un fils Chub. Rich et Colleen ont chacun un rêve différent. Rich rêve d’acheter la parcelle 24-7 et de se mettre à son compte. Cette parcelle tire son nom d’un immense séquoia qui y trône depuis des siècles : 24 pieds 7 pouces de diamètre, 370 pieds de haut, le plus grand séquoia de la forêt ancienne (7,50 mètres de diamètre, 112 mètres de haut). Mais Rich n’a pas les moyens, la 24-7 et son arbre géant restent un mirage pour lui. Colleen, souhaite plus que tout d’avoir une deuxième enfant. Mais après cinq fausses couches signalées à son mari, plus trois qu’elle n’a pas mentionnées, huit en tout, elle désespère. Mais voilà qu’un groupe d’écologistes vient semer le doute dans son esprit en affirmant que les épandages de pesticides destinés à détruire les broussailles, les ronces et les petits arbres qui gênent le travail de coupe, sont nocifs non seulement pour les plantes, mais aussi pour les animaux et les gens. Colleen va prendre parti et Rich le parti opposé. Le conflit s’étend à toute la population vivant autour de l’exploitation du bois, entre ceux qui pensent que les herbicides ne sont pas dangereux, comme l’affirment les autorités et ceux qui pensent qu’ils sont responsables de nombreuses malformations des bébés et des multiples fausses couches observées dans la région.

Le cadre de ce roman est le nord de la Californie, années 1977 et 1978. Damnation Grove est l’un des derniers vestiges de la forêt primaire. Des séquoias hauts de plus de cent mètres y poussent. Une partie est protégée par les parcs nationaux, une autre partie est la propriété de la compagnie Sanderson qui se dépêche d’abattre le plus d’arbres possible avant une éventuelle extension des parcs. De toute façon la fin de l’activité de l’abattage s’annonce. Dans ce contexte, l’arrivée des écologistes qui veulent protéger les arbres et dénoncent l’empoisonnement de l’eau, des plantes et des gens par la pulvérisation des pesticides ne fait qu’aggraver une situation déjà tendue. La petite communauté des bûcherons, jusqu’ici unie et solidaire, va se scinder en deux camps antagonistes.

Rich vit de l’abattage. Il fait un métier dangereux. Son père et son grand-père ont été tués en le pratiquant. Rich est parfois blessé, il souffre dans son corps, mais ne se plaint jamais. C’est une personne simple et généreuse, une bonne pâte. Cependant il arrive à être en conflit avec son épouse qu’il adore pourtant. Car Colleen est frustrée. Son envie de deuxième enfant devient obsessionnelle malgré ses fausses couches. Elle est sensible aux arguments de son ami d’enfance qui fait des prélèvements pour analyser l’eau qu’il trouve polluée par les pesticides. Colleen milite pour l’arrêt des épandages et doit subir l’hostilité de ceux qui vivent de l’exploitation du bois.

L’autrice nous décrit avec beaucoup d’empathie et de délicatesse les soucis et les aspirations des uns et des autres. Aucun manichéisme, dans cette démarche. Elle met aussi bien en avant les arguments des travailleurs du bois que ceux des écologistes. Le cynisme des patrons de l’industrie aussi. Il est à noter qu’elle rend parfaitement compte de la sensibilité, des préoccupations et des attentes des femmes, elle est bien placée pour ça, mais elle le fait tout aussi bien pour les hommes dont elle montre admirablement la virilité exacerbée, le langage cru, parfois ordurier, mais aussi la générosité et la pudeur.

Malgré ses 520 pages, ce livre ne paraît pas long. C’est avec regrets que j’ai quitté Rich, Colleen, Chub et les autres qui étaient devenus mes amis pendant les quelques jours qu’a duré la lecture de ce très beau roman (le premier de Ash Davidson).

Extraits :
— Nous avons détruit quatre-vingt-dix pour cent de cette forêt ancienne, dit l’homme. Partout, nous avons abattu les arbres et répandu des produits chimiques…

— Et tout ce qu’il en reste, expliqua la femme, c’est une infime portion, des terres acquises par des citoyens qui ont souhaité les protéger, des terres qui sont devenues des parcs nationaux. Damnation Grove est l’un des derniers vestiges de la forêt primaire en Californie. On y contemple des géants hauts de cent mètres, plus grands que la statue de la Liberté, une majesté que les parcs conservent à l’abri. Mais aujourd’hui…” La femme marqua une pause. “… les mains avides de l’industrie aiguisent leurs tronçonneuses et se préparent à sacrifier sur l’autel du capitalisme ces ancêtres vivants…

“Vous travaillez tous dans des bureaux, pas vrai ? demanda-t-il aux hommes assis à la longue table. Je vais vous raconter comment c’est, mon bureau à moi. Y a pas de table. Y a pas de fauteuil non plus. Y a même pas de porte, mais il ouvre à cinq heures du mat’. Certains jours, il ferme pas avant la nuit. L’été, on travaille parfois jusqu’à sept, huit ou neuf heures du soir. On travaille, on rentre à la maison, on dort, et le lendemain pareil. On n’a pas le choix. Il y a une douzaine d’autres gars qui dépendent de nous. Jamais personne ne prend un jour de maladie. Si on peut marcher, on peut travailler. J’ai six gosses à nourrir, dont cinq filles, et eux aussi ils dépendent de moi. Leur père a pas été à l’école, mais regardez-les bien… Marla, Agnes, Mavis, Gertrude, levez-vous. Montrez-leur…”

La voix profonde de Johnny Cash entonna My Shoes Keep Walking Back to You. Enid augmenta le volume. Eugene entraîna Agnes dans un pas de danse, puis attira Mavis pour qu’elle le remplace et prit une autre bière dans le ruisseau.

Johnny Cash – My Shoes Keep Walking Back To You

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)
Coup de cœur

Publié dans Américain, Coup de Cœur, Écologie, Roman noir | Laisser un commentaire

Mort au couvent – Oscar De Muriel

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Muerte en San Jeronimo)
Date de publication française : 2023 (Les Presses de la Cité)
Traduction (espagnol, Mexique) :
Vanessa Canavesi
Genres :
Enquête, historique
Personnage principal :
Sœur Juana

De Muriel est né au Mexique. Ce roman est le premier volume de la série des Mystères de sœur Juana. L’action se déroule en Nouvelle-Espagne, c’est-à-dire au Mexique, au XVIIe siècle. L’auteur s’efforce de coller à la réalité historique (par exemple, sœur Juana a vraiment existé et, en 1689, elle avait déjà passé vingt ans dans le cloître). Elle était reconnue comme femme de lettres. De Muriel s’intéresse aussi de près aux recettes de cuisine populaires à cette époque. C’est certain que l’intérêt historique de ce roman est une valeur ajoutée.

L’intrigue à propos du meurtre de sœur Felipa n’est pas négligée pour autant; on retrouve son cadavre charcuté une nuit où plusieurs religieuses ont été bouleversées par des cauchemars horribles, pour ne pas dire démoniaques. Felipa semble avoir été victime de rituels païens. Son cœur avait été extrait de son corps et déposé dans un bol en bois sculpté. Du sang est répandu un peu partout. Sœur Juana, la novice Alina et sa domestique indienne Matea, s’allient pour retrouver l’assassin avant que n’intervienne l’Inquisition qui a tendance à torturer et à condamner n’importe qui, surtout les esclaves indiennes et africaines. Pas facile de s’orienter dans ce Couvent; heureusement, l’auteur nous offre un plan. Lancée à la recherche de la coupable, Alina y perd presque la vie avant qu’on vienne à son secours.

Le milieu dans lequel l’action principale se passe est un peu dépaysant, même si on connaît assez bien la situation religieuse à cette époque, les violences de l’Inquisition, le mépris dont sont victimes les femmes de la part des religieux, le racisme impitoyable qui permet aux classes sociales de se développer sans concession. Vaux mieux être Espagnol ou descendant direct de ce peuple conquérant qui nomme le Mexique la Nouvelle Espagne. Cet aspect est bien reproduit par l’auteur. Son excès de zèle, cependant, nous présente la plupart des prêtres avec outrance : ils sont laids, plutôt idiots, et ils puent. Et la plupart des religieuses sont naïves et peu cultivées. Ce côté caricatural nous empêche un peu d’être saisis par cette histoire. D’autant plus que nous fréquentons une quinzaine de religieuses, ce qui est peut-être indispensable dans le premier tome d’une série, mais qui rend difficile de s’y attacher.

Faudra attendre le deuxième volume pour se faire une meilleure idée.

Extrait :
Dis-moi, Elena [1], as-tu emporté avec toi ce livre de Kepler dont tu parles ?
─ Non, je l’ai laissé chez ma grand-mère. Mais je peux écrire à mon frère pour qu’il nous le fasse parvenir.
─ Fantastique ! Pourquoi ne pas…
─ Pé-ni-ten-ce !
Le cri  de sœur Encarnacion fit l’effet d’une onde de choc. Aussitôt, les religieuses retournèrent à leurs besognes ─ non sans observer la scène du coin de l’œil.
Juana sourit.
─ Combien de jours lui avez-vous donnés
─ Trois, et elle n’en a effectué qu’un seul. Mais au rythme où nous allons, ce sera peut-être six …
─ Eh bien, envoyons-la dépoussiérer la bibliothèque et tout le monde sera content.
Là-dessus, Juana s’empara du balai et le planta dans les mains de sœur Encarnacion.
Les yeux de la vieille religieuse n’étaient plus que rage.
─ Me prenez-vous pour une imbécile, ma sœur ?
─ Des efforts au quotidien, vous devriez faire … pour nous démontrer le contraire …
L’autre manqua de tomber à la renverse.
─ Impie ! Vous vous repentirez de ces mots.
─ Je m’en repens déjà, ma sœur. Ces deux vers étaient atroces.

[1]Alina a été renommée Elena en entrant au couvent.

Couvent de San Jeronimo

 Niveau de satisfaction :
3.8 out of 5 stars (3,8 / 5)

Publié dans Enquête, Historique, Mexicain, Moyen | Laisser un commentaire

Déconnexion – F.C. Mary

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Éditions Erick Bonnier
Date de publication française : 2023 – Éditions Erick Bonnier
Traduction (américain) :
Erick Bonnier
Genres :
Science-fiction, thriller, politique
Personnages principaux :
Cinq jeunes chercheurs en intelligence artificielle : Mei Lin, Lara Thompson, Tom Wright, Min-Ho Park, Jérôme Moreau
– Harry Miller, journaliste

Ils sont cinq jeunes chercheurs, ce sont des sommités de l’intelligence artificielle et ils sont amis. Mei Lin est chinoise, le Parti communiste a financé ses études et en retour il attend qu’elle mette ses compétences au service de l’État. Lara Thompson est américaine, elle travaille chez le plus grand fabriquant d’équipements électroniques du monde. Tom Wright, américain et ancien marine, est maintenant employé dans le plus grand réseau social du monde. Jérôme Moreau, français, embauché par le patron du plus grand moteur de recherche. Et enfin, le plus doué d’entre eux est Min-Ho Park, coréen, un véritable génie de l’intelligence artificielle. Tous les cinq ont été formés au MIT (Massachusetts Institute of Technology) où ils se sont rencontrés et ont sympathisé. Quelques années plus tard, bien installés professionnellement, ils se retrouvent à Las Vegas, et devant les dérives constatées d’internet et de l’intelligence artificielle, ils décident de lancer un mouvement de résistance appelé Déconnexion, incitant tous les utilisateurs à se déconnecter totalement d’internet au terme d’un décompte de cent jours.

Le mouvement Déconnexion n’a pas d’abord été pris au sérieux par les autorités et les Big Tech (les géants du numérique, jamais nommés, souvent rassemblés sous le sigle GAFAM = Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Puis l’inquiétude s’est installée devant le nombre exponentiel de promesses de déconnexions venues du monde entier. D’autant plus qu’un virus à base d’intelligence artificielle extrêmement puissant perturbe les systèmes numériques partout dans le monde et que le mouvement dérange des intérêts économiques importants. Il ne faut absolument pas qu’une telle initiative réussisse. Les Big Tech mettent leurs meilleurs experts sur le coup, mais rien n’y fait, la révolte ne cesse de prendre de l’ampleur. Le FBI essaie de savoir qui sont les instigateurs du mouvement et la NSA ne trouve rien de mieux que de mettre en œuvre un de leur PEF (Plan Extrêmement Foireux, dixit le Directeur adjoint de la NSA). Le seul à entrevoir la vérité est Harry Miller, journaliste chevronné qui va ainsi relancer une carrière sur le déclin.

Outre les cinq conjurés de Las Vegas et le journaliste Miller, il y a une riche palette de personnages secondaires dont on trouve une liste, bien utile, précisant leur rôle en fin d’ouvrage. À noter une entorse volontaire à la vérité : le Président des États-Unis est Trump (bien qu’il ne soit pas nommé) qui aurait été élu pour un deuxième mandat. Probablement que l’auteur a jugé qu’un Président coléreux, imprévisible, qui n’écoute personne, correspondait mieux au personnage souhaité pour le bon déroulement de l’intrigue.

Ce roman est un thriller se déroulant dans un futur proche. Il y a du suspense, mais c’est surtout un livre qui explique de façon claire et précise les défis de l’évolution d’internet et de la mise en œuvre de l’intelligence artificielle. Son grand mérite est de le faire de façon à la fois attractive et érudite. C’est un ouvrage éclairant sur les dangers d’une application incontrôlée de l’intelligence artificielle, bien plus limpide que les discours confus des hommes politiques ou ceux opaques de soi-disant experts. Un livre qui permet de comprendre de façon ludique l’évolution envisageable et la possible utilisation néfaste des applications de l’IA.

Déconnexion est un roman consistant, distrayant et édifiant qu’il faut lire pour mieux appréhender les enjeux du futur qui d’ailleurs ne concernent pas que l’utilisation des nouvelles technologies puisque l’auteur aborde aussi des sujets tels que la finance mondiale, la rivalité Chine États-Unis, les agences de renseignements, la surveillance des citoyens, la liberté individuelle, entre autres. Livre riche et passionnant, s’il en est.

Premier tome d’une trilogie, sous-titré Le Mouvement, il a été publié en France par les Éditions Erick Bonnier, qui en ont assuré la traduction, avant de l’être aux États-Unis. On ne connaît rien de l’auteur qui semble être particulièrement bien informé des arcanes de la société actuelle. Le deuxième volume se nommera L’Archange du Web.

Extrait :
Il n ‘est qu’une question de temps pour que les IA atteignent un moment de singularité et prennent le pas sur les décisions humaines, d’une façon ou d’une autre. Les utilisateurs d’Internet, des réseaux sociaux et des objets connectés en particulier, sont déjà « guidés » systématiquement dans leur parcours numérique. L’omniprésence consécutive des outils de surveillance et de contrôle utilisés à travers le monde est connue et, en tout cas, observable par chacun.
La question pourrait être de savoir par qui ce contrôle des faits et gestes, des opinions et des comportements de la population mondiale devrait être exercé. La réponse est claire pour le moment : il est exercé par les grandes entreprises technologiques bien entendu, mais également par les états qui n’ont aucune raison logique de s’en priver. Les dictatures, ou les « démocratures », ont montré la voie sans vergogne depuis quelques années, mais il serait bien naïf d’oublier ce que font de nos données les agences gouvernementales de tous les pays dits « démocratiques ».

Extrait du Manifeste pour une déconnexion.

Niveau de satisfaction :
4.6 out of 5 stars (4,6 / 5)
Coup de cœur

Publié dans Américain, Coup de Cœur, Science-fiction, Thriller | Laisser un commentaire

L’Horizon d’une nuit – Camilla Grebe

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2021 (Alla Ljuger)
Date de publication française : 2022 (Calmann-Lévy)
Traduction (suédois) :
Anna Postel
Genres :
Psychologique, enquête, thriller
Personnages principaux :
Maria, Samir, Yasmin  et Vincent

J’avais lu Un cri sous la glace (Sang d’Encre Polars, 18 octobre 2021) et j’avais trouvé que c’était un très bon roman mais pas un très bon polar : plus psychologique que policier. Je ressentais un peu la même chose après les 100 premières pages de ce roman-ci. Puis, peu à peu, j’ai été assailli de questions et  je n’ai plus été capable de lâcher le bouquin. Pourtant, tout cela paraissait bien simple : une jeune fille de 18 ans, Yasmin, s’était-elle suicidée ou avait-elle été tuée ?

En banlieue de Stockholm, une vie de famille se déroule avec des hauts et des bas. Le père, Samir, et sa fille Yasmin (18 ans) viennent de France où l’épouse de Samir et la sœur de Yasmin ont péri dans un accident de la route. La nouvelle femme de Samir, Maria, une Suédoise, avait déjà un enfant, Vincent, atteint de la trisomie 21; sachant Maria enceinte, Vincent avait déguerpi. Yasmin aime qu’on la trouve belle. Samir insiste sur l’importance des études. Maria aimerait bien que Yasmin se confie à elle, mais ce n’est pas en fouillant dans ses affaires qu’elle va y parvenir.

Puis, une nuit, sur le bord de la falaise, Yasmin disparaît. On retrouve ses bottes et un message de suicide. Mais un témoin croit avoir vu quelqu’un pousser Yasmin en bas de la falaise. Les plongeurs ne retrouvent pas son corps. Samir est accusé de meurtre. Le procès se prolonge. Une servante d’une famille riche de Kungsudd disparaît à son tour. Ann-Britt et Gunnar enquêtent, plutôt convaincus de la culpabilité de Samir (non pratiquant mais d’ascendance musulmane), sans cependant parvenir à trouver des preuves décisives. L’embrouillamini ne s’éclaircira que vingt ans plus tard.

L’histoire se développe par tranches : la vision et la compréhension des choses de Maria; puis de Vincent; ensuite de Gunnar; enfin de Yasmin. Vingt ans plus tard : récit de Gunnar, de Maria, de Vincent et de Maria derechef. Ce procédé n’a rien d’artificiel. On comprend comment les mêmes événements sont compris autrement; et on s’aperçoit que chacun ne dit pas tout. S’étalent les préjugés, les mensonges, les dissimulations, et leurs raisons d’être. La vision du lecteur change continuellement, mais il sent qu’on approche de la vérité. Et ce qui est étonnant : même si les personnages ne sont pas particulièrement sympathiques, on s’attache à eux parce que notre compréhension de chacun finit par nous les rendre attirants. C’est un véritable coup de force d’avoir été capable de se mettre dans la peau de personnages aussi différents que Vincent, un trisomique sensible et intelligent, et de Gunnar vieillissant avide de vérité mais usé par la vie et un peu abruti par ses habitudes avec les femmes.

Bref, un grand roman, un roman qu’il faut prendre le temps de lire et pour lequel on doit se rendre disponible.

Extrait :
Maria…vingt ans plus tard.

Étais-je la même personne à l’époque ?
J’étais très réglo, un peu idéaliste peut-être. Il fallait bien présenter, manger bio, fait maison, aider les gens dans le besoin.
J’étais aussi quelqu’un d’intègre – je le suis toujours, d’ailleurs. Je trouve ça important que les gens assument leurs actes, mais aussi qu’on leur donne une seconde chance dans la vie. C’est peut-être un défaut professionnel. Être enseignante implique beaucoup plus que de transmettre des connaissances. Les jeunes ont besoin d’un guide pour apprendre l’art de devenir humain.
Ne frappe jamais quelqu’un au sol. Demande pardon si tu as été méchant. Excuse-toi, serre l’autre dans tes bras. Ne mens pas.
Avais-je été injustement dure envers Yasmin ?
Peut-être. Ou plutôt, oui. Bien sûr.
Pour ma défense, elle était épuisante ! Elle est entrée dans notre vie en se pavanant comme une princesse, et Samir la traitait comme telle ─ elle qui faisait la fête toute la nuit, ramenait de la drogue à la maison, qui me provoquait consciemment et ignorait mes conseils bienveillants.
Yasmin, tu devrais réfléchir aux signaux que tu envoies quand tu sors en minijupe.

Camilla Grebe parle de son roman

La falaise

Niveau de satisfaction :
4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Publié dans Enquête, Psychologique, Remarquable, Suédois, Thriller | Laisser un commentaire

Toute la vie devant vous – Antoine Leger

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – M+ Éditions
Genre :
Thriller
Personnages principaux :
Lilou Zalan, jeune fille de 15 ans – Aurélie Wong, commissaire de police – Un mystérieux fuyard traqué par la police

Toulouse, juin 2022.
Lilou a 15 ans. Avec sa classe du collège, elle revient en autobus du voyage de fin d’année. Ils sont allés en Espagne. C’est le denier jour de collège, l’année prochaine ce sera le lycée. C’est un grand changement. Lilou espère qu’elle sera avec ses quatre copains, tous les cinq sont devenus inséparables.
Autre lieu, autre jour.
Un homme fuit, il a la police à ses trousses. Il cherche à rejoindre un endroit de la banlieue toulousaine où il sera en sécurité. C’est la commissaire Aurélie Wong qui est chargée d’organiser la traque de ce fuyard coupable d’un crime monstrueux qui a horrifié la population. Les autorités font pression, trouvent que c’est trop long. Les parents des victimes commencent à s’organiser pour mener eux-mêmes les recherches. Toute la région est sous tension.

L’auteur nous a concocté une intrigue bien intrigante. En effet nous avons un homme en fuite qui a commis un acte abominable, mais on ne sait pas lequel, il a fait plusieurs jeunes victimes, mais nous ne connaissons ni l’identité des victimes, ni leur nombre, ni ce qui fait que la population est sous le choc. Il y a également un mystérieux observateur qui guette tous les jours le passage d’une femme ou fille (on ne sait pas), il prend chaque fois une photo d’elle, mais le lien entre le guetteur et la personne épiée reste mystérieux. La jeune Lilou nous décrit son entrée au lycée, mais le comportement du personnel est étrangement attentif et prévenant envers elle, tout comme elle fait preuve d’une étonnante fragilité et d’un manque total de repères. Les divers personnages de cette histoire ne semblent avoir aucun lien entre eux et les pièces de ce puzzle ne s’assemblent que dans la partie finale de ce roman. Bref, Antoine Leger fait mijoter les lecteurs dans une multitude d’interrogations qui ne trouvent leurs réponses qu’en toute fin d’ouvrage. C’est astucieusement réalisé et le procédé fonctionne parfaitement.

La narration est découpée en plusieurs courts chapitres qui donnent une impression de rythme soutenu et d’actions simultanées.

Si l’intrigue et la narration sont parfaitement maîtrisées par l’auteur, il me semble que l’écriture et la qualité des dialogues sont largement perfectibles, tout comme la vraisemblance : qu’un commissaire de police chargé d’une enquête soit démis de ses fonctions pour absence de résultats et remplacé par un simple lieutenant me paraît difficilement envisageable dans la vraie vie.

C’est toujours un plaisir supplémentaire pour un lecteur de lire un polar se déroulant dans sa propre ville, mais même ceux qui n’habitent pas Toulouse ou sa région trouveront en Toute la vie devant vous un thriller distrayant et habilement construit.

Extrait :
Le préfet se lève et prend la parole.
– En synthèse, voici ce que nous voulions vous communiquer sur l’ensemble de ce dossier sensible. Nous affirmons devant vous que tous les corps de métier – police, justice – sont mobilisés. L’homme en fuite a un passé de dépressif, il est certainement caché quelque part. Nous tenons informés toutes les familles personnellement et régulièrement de l’avancée des recherches. Nous le retrouverons, il n’y a pas de doutes.
— Faites vite, sinon on va s’en occuper ! lance un homme qui ne peut s’empêcher d’interrompre l’officiel.
– Et si on le trouve, on le bute ! renchérit un autre homme aux yeux décidés.

À la sortie du cercueil, les proches reprennent en chœur le célèbre air occitan.
Se Canto, que canto / Canto pas per iéu / Canto per ma mio / Qu’es aluen de iéu …

Se canto – Chant traditionnel occitan

Souterrains de Toulouse

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

Publié dans Français, Remarquable, Thriller | Laisser un commentaire

Identités croisées – Harlan Coben

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2022
(The Match)
Date de publication française : 2022 (Belfond)
Traduction (américain) :
Roxane Azimi
Genres :
Enquête, thriller
Personnage principal :
Wilde, le fils de personne

Wilde est aujourd’hui dans la quarantaine; il ne sait pas exactement son âge, parce qu’il a vécu les premières années de sa vie dans les bois, seul. Il cherche maintenant à retrouver sa famille d’origine et à comprendre comment ça se fait qu’il s’est retrouvé à survivre dans les bois.

À partir de sites où des personnes affichent leur ADN pour essayer de retrouver un parent, Wilde finit par retrouver quelqu’un qu’il croit être son père, mais ce dernier manifeste plus de la crainte que de l’enthousiasme, comme s’il craignait que l’irruption de ce fils dans sa famille ne bouleverse l’équilibre familial, entre autres parce que ça impliquerait qu’il avoue à sa femme avoir eu quelques aventures en Europe, pendant son service militaire, alors qu’il était fiancé à Sofia. Ils s’entendent sur un rendez-vous pour le lendemain, mais Wilde rentre chez lui en avion et décide de ne pas troubler cette famille.

Puis, on semble entrer dans une autre histoire quand, toujours à cause des sites d’ADN, un certain P.B. entre en contact avec Wilde. Ce dernier a attendu longtemps avant de répondre à un de ses messages, et le voici parti à la recherche de ce fameux P.B. C’est Matthew, le jeune ami de Wilde, qui lui suggère que P.B. est probablement Peter Bennett qui a gagné « un gros reality show » dans une émission de téléréalité. Or, ce P.B. semble être disparu de la circulation après avoir été impliqué dans un scandale. On croit même qu’il se soit suicidé.

Cette histoire nous emmène dans l’univers des harceleurs sur les réseaux sociaux. Ce sont eux qui, après avoir porté Peter aux nues, auraient propagé la haine dont il fut victime. On apprend alors que des harceleurs se font tuer, et qu’il existe une association anonyme appelée Boomerang chargée « de punir la cruauté et  la maltraitance ». Wilde se trouve mêlé à tout ça parce qu’il enquête sur la disparition de Peter, victime ou coupable ?!  Heureusement, il peut compter sur Laila, la jolie veuve de son ami David, pour le détendre un peu. Mais un membre important de Boomerang, Katherine Frole, qui est aussi agente du FBI, est assassinée. Chris, le chef de Boomerang, dissout son organisation, craint pour sa vie et propose à Wilde de rechercher le tueur.

Aussi étrange que ça paraisse, cette recherche permet à Wilde de comprendre un peu mieux, la réaction de son père et le sort de sa famille, de même que la raison pour laquelle il s’était retrouvé, seul, dans la forêt.

Le fait qu’il y ait quatre ou cinq histoires dans une rend la lecture difficile. Le lecteur s’y perd aisément. Tous les fils finissent par se recoudre, mais l’intérêt risque de se perdre en cours de route.

Extrait :
Quelque part entre quarante et quarante-deux ans Quelque part entre quarante et quarante-deux ans  –Wilde ignorait son âge exact−, il trouva enfin son père.
Wilde n’avait jamais connu son père. Ni sa mère. Ni aucun autre membre de sa famille. Il ne savait ni leurs noms, ni son lieu de naissance, ni comment, tout petit, il s’était retrouvé à vivre seul dans la forêt des monts Ramapo, livré à lui-même. À présent, trente et quelques années après son ‘sauvetage’ – « Abandonné et sauvage ! » titrait un journal; « Un Mowgli des temps modernes ! » clamant un autre −, une vingtaine de mètres séparaient Wilde d’un parent biologique et de la solution du mystère de ses origines.

Monts Ramapo

Niveau de satisfaction :
3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

Publié dans Américain, Enquête, Moyen, Thriller | Laisser un commentaire