Nos meilleurs amis sont les morts – Jean Lemieux

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Québec Amérique)
Genre :
Enquête
Personnage principal :
André Surprenant, sergent-détective au SPVM

Montréal, 12 mai 2012 : les manifestations des Carrés rouges contre la hausse des frais de scolarité se multiplient. Ça n’empêche pas les crimes ordinaires de se commettre : ainsi, Maître Jean-Claude Ladouceur, notaire, est retrouvé égorgé dans le sous-sol de sa maison d’Ahuntsic. Saigné comme un porc. On retrouve à ses côtés un petit carré rouge. Le sergent-détective André Surprenant est chargé de l’enquête. Par principe, on soupçonne sa jolie veuve, Mireille McLean, d’autant plus qu’elle avait un amant et que l’argent de son mari est disparu. Il faut attendre l’assassinat de Vincent Liggio, probablement lié au clan Rizzuto, pour qu’une piste se dégage : Liggio a été égorgé comme le notaire. Même modus operandi. L’argent semble au centre de l’affaire et Mireille McLean est de plus en plus suspecte. Sauf qu’elle se fait tuer à son tour.

L’enquête sur ces trois morts ne permet pas aux policiers de se faire une idée. Mais ces événements semblent liés à une noyade suspecte en septembre 95 : la jeune Ariane Bellemarre, 17 ans, est retrouvée noyée au lac Nitagan. Or, les principales personnes qui sont liées aux morts sur lesquelles enquêtent Surprenant et son équipe étaient au lac à cette époque : le notaire Ladouceur et sa femme Mireille, le banquier millionnaire Pierre Mélanson, qui aimait s’entourer de jeunes hommes et filles, Léonard McLean, le père de Mireille, et Amélie Charron, l’amie d’Ariane. Il semble que Surprenant (déjà légèrement blessé par une balle) et sa famille soient menacés par le tueur; l’affaire reste obscure; et ça n’empêchera pas le sergent-détective de creuser une nouvelle piste. En espérant que cette noyade soit un meurtre, en réalité, et que la solution éventuelle de ce meurtre jette quelque lumière sur l’assassinat de Ladouceur, Liggio et Mireille McLean.

C’est un roman d’enquête et, pour neutraliser l’ennui qui risque de frapper le lecteur à cause des redondances liées à des séries d’entrevues, l’auteur insiste sur des parenthèses comme la famille de Surprenant, les relations entre policiers et journalistes, les problèmes de Surprenant avec certains de ses confrères (dont son grand patron Bob Coupal), l’apprentissage de la jeune Alice Verreau, la mafia montréalaise… De sorte que, à défaut d’être ennuyé par les multiples entrevues qui n’apprennent pas grand-chose d’utile aux policiers, le lecteur finit par être étourdi par le grand nombre de parenthèses, la profusion des personnages, et la multiplication des hypothèses. Par ailleurs, Surprenant n’est pas facile à suivre, procédant plus par intuitions que par déductions. Par souci de réalisme, sans doute, et pour échapper à la figure du détective héroïque, Lemieux décrit un Surprenant bien ordinaire et peu attachant.

Bref, ce n’est pas facile d’entrer dans ce roman.

Extrait :
Surprenant déjeuna en vitesse, tira son Walter de son coffre-fort et se rendit en taxi chez le concessionnaire BMW près de l’autoroute Décarie. L’ami Frank Santini avait tenu parole : une vieille 328 top shape l’y attendait, 120 000 kilomètres au compteur, d’un vert bouteille douteux et sentant Un jardin sur le Nil, sans doute le parfum de sa dernière propriétaire. C’était aussi le préféré de Maria Chiodini, l’ex-épouse de Surprenant qui avait refait sa vie en Toscane comme dans les films. Sommet du G14, odeur de Maria, il prit Décarie vers le nord, puis la Métropolitaine vers l’est, envahi par Maude et Félix, ses enfants. Il avait parfois le sentiment de les négliger. Inséparables dans leur jeunesse, ils semblaient emprunter, adultes, des chemins divergents. Maude la littéraire vivait avec son chum horticulteur et leur fils Paul dans un 5 et demie de la rue Saint-Dominique, mais ne voyait pas comment agrandir sa famille et acquérir une maison sans s’exiler en banlieue. Félix l’informaticien-boursicoteur et sa Bouba branchée venaient de troquer avec profit leur loft de Griffintown  pour un duplex malade, plus près du centre-ville.

Manifestation des Carrés rouges

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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La ligne – Jean-Christophe Tixier

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Albin Michel
Genre :
Roman noir
Personnages principaux :
Les familles Polara et Wasner

Dans un village tranquille de la France profonde, les habitants découvrent au petit matin une ligne blanche qui traverse la commune. Après la stupeur, les questions : Pourquoi ? Quelle signification ? Qui l’a tracée? Peu de temps après arrive un étranger qui prend pension dans le seul bar de la ville. C’est un représentant de l’État dépêché sur place pour observer la bonne application de la ligne. Car la ligne est le résultat d’un décret national et le fruit d’une décision démocratique, explique-t-il. C’est une partition divisant en deux la commune. Dans un premier temps les habitants refusent son application, décident de ne rien changer à leurs habitudes en continuant à vivre en paix les uns avec les autres. Mais la présence de la ligne occupe les esprits, surtout quand se produisent les premiers incidents : la disparition d’un vieux bonhomme solitaire et l’agression sexuelle d’une fillette. De chaque côté de la séparation, on rejette la responsabilité sur le côté opposé. Ce simple trait blanc tracé au sol devient la ligne de la discorde.

C’est au travers des membres de deux familles que l’auteur nous décrit la vie dans un petit village paisible avant l’apparition de la ligne. Les Wasner, aussi loin que remontent les souvenirs, ont toujours fait partie de la commune, alors que les Polara, bien qu’intégrés depuis plusieurs générations, sont arrivés plus tard, ce sont en quelque sorte des étrangers. C’est cette différence, quasiment disparue au fil du temps, que va raviver la présence de la ligne. Les gens, qui il y a peu de temps vivaient ensemble bien tranquillement, vont décider de ne plus accepter parmi eux la présence de ceux qu’ils estiment différents. Chacun restera de son côté de la ligne, une séparation qu’une majorité des habitants va même finir par trouver bien insuffisante, un mur serait plus adapté. Il y aura des opposants, mais ils resteront minoritaires.

L’auteur raconte les évènements du point de vue de chaque membre des familles Polara et Wasner et comme ils sont relativement nombreux, il est préférable de se créer un mini arbre généalogique pour s’y retrouver afin de pouvoir apprécier les interactions qui ont existé entre ces deux groupes. D’ailleurs, il aurait été judicieux que l’auteur pense à l’intégrer en annexe pour faciliter la lecture. Ainsi on constate qu’il y a eu, et qu’il continue à y avoir, des rapprochements croustillants entre ces deux familles maintenant devenues ennemies. L’auteur nous brosse des portraits savoureux et finement observés des éléments de ces deux clans.

Finalement une simple ligne blanche tracée sur le sol est le révélateur de jalousies, rancœurs, de frustrations et de haines jusqu’ici étouffées. La xénophobie ramenée au niveau d’un village est encore plus absurde. Un gouvernement bien inquiétant apparaît en arrière-plan, alors qu’il devrait rassembler, il discrimine.

La ligne est un bon roman noir, pessimiste sur la nature humaine, il est aussi un peu effrayant.

Extrait :
Philippe vérifie l’heure sur son téléphone, rêve qu’ils en finissent au plus vite. Il parcourt l’assistance du regard, tente de deviner où passera la ligne de fracture. Le spectacle de cette assemblée à l’hostilité latente le révulse. Bientôt, deux camps se formeront, qui trouveront une raison de s’opposer à l’autre. Fabriquer un ennemi, un bouc émissaire ou un simple responsable au malheur qui les touche. De quoi poursuivre sur la voie de la dignité tout en faisant porter à d’autres la responsabilité de ce qui se produit. Philippe a d’autant plus la conviction que cela va arriver, qu’il sait son frère en embuscade. Jacques écoute, laisse chacun épuiser ses arguments. L’occasion est trop belle pour qu’il la laisse passer.

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La constellation du chat – J. L. Blanchard

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Fides)
Genre :
Enquête
Personnages principaux :
Bonneau et Lamouche

Troisième roman de Blanchard. Toujours avec le gaffeur Bonneau et l’intelligent Lamouche. Bonneau n’est pas vraiment aidé par un gant de protection en Kevlar à la main gauche et par une béquille qu’il manie avec difficulté, héritage de sa mission périlleuse précédente (cf. Les os de la méduse, et Le silence des pélicans, dont les comptes rendus ont été publiés ici le 11 et le 7 août 2022).

Le politicien Bruno Hébert-Sirois soutenait un parti d’extrême droite et se montrait souvent arrogant, mais le faire disparaître avec une bombe paraît un peu exagéré. Puis, un bar sympathique, Le Pinardier, saute à son tour, victime d’une bombe artisanale. Policiers et pompiers sont sur le qui-vive. La jolie Luce, qui semblait un témoin prometteur et qui avait séduit Bonneau, avant que Lamouche ne lui révèle qu’il s’agissait d’un homme, se fait tuer à son tour. Une troisième bombe, à l’Île-des-Sœurs, cause la mort de Philippe Demers et de sa secrétaire; c’était un courtier qui venait de réaliser un bon coup. Les policiers en ont plein les bras, quand on leur signale la disparition de Jean-Marc Prévost; on a tendance à relier cette disparition aux morts précédents parce qu’un dessin de chat, semblable à ceux qu’on avait trouvés dans les cas précédents, avait été peint sur son cabanon.

Quel est le rapport entre tous ces meurtres dont le seul lien apparent est ce dessin de chat sur chaque lieu des exécutions ?

Et qui est ce Félix, du genre troublé, qui semble prêt à tuer pour ne pas avoir à rendre ce petit chat affectueux qu’il avait trouvé et abrité ?

Bonneau et Lamouche rendront visite au compositeur de Variations pour bols tibétains et obturateurs, P. – A. Gauthier, journaliste à la retraite qui croit détenir des informations utiles. Ce qui leur permettra de tenter de prévenir un prochain assassinat et d’établir un lien entre les précédents.

L’intrigue policière n’est jamais reléguée au second plan dans les romans de Blanchard mais j’ai eu l’impression qu’ici elle était particulièrement soignée. Et la collaboration entre les différentes spécialités policières est bien mise en relief. Bonneau se distingue toujours par ses pitreries mais, se prenant un peu pour un héros, il finit par se conduire un peu comme un héros, attachant en tentant de sauver Luce, audacieux en sauvant pratiquement la vie à Lamouche. Ses Rapports au chef St-Denis sont toujours assez pittoresques, mais on dirait qu’il commence à gagner le respect de ses collègues.

Un bon roman à lire en vacances mais, quelles que soient les circonstances de votre lecture, c’est un roman qui fait du bien.

Extrait :
Rapport préliminaire dans l’affaire des explosions
(par le lieutenant Bonneau)

Ces derniers jours ont été particulièrement fructifiants, j’entre donc de ce pas dans le vif du sujet et pour bien situer l’élément chronologique de l’enquête, je vais détailler au jour le jour :
Vendredi, nous allâmes rencontrer le sergent-détective Laniel de la Régie intermunicipale de police de Roussillon qui nous montra un dessin de chat sur une porte de cabanon d’une maison appartenant à un disparu depuis quelques jours, mais que nous reverrons plus loin dans mon rapport, car celui-ci a été retrouvé depuis en mauvais état.
Puis nous nous rendîmes chez madame Véronique Levac, veuve de monsieur BHS, qui revenait de Chine et de Saint-Alexandre, là où elle va hériter d’un magnifique domaine que nous verrons lui aussi plus loin dans mon rapport. Nous fûmes ensuite alertés d’une nouvelle explosion, cette fois-ci à Longueuil. Une fois sur place, nous pûmes constater l’ampleur des dégâts considérables et continuâmes jusqu’à l’hôpital où le concierge reposait sur une civière. C’est lui d’ailleurs qui nous a révélé la présence d’un autre dessin de chat sur la porte du bureau d’un courtier immobilier, que nous n’avons pu vérifier en raison que la dite porte avait subi les outrages de l’explosion, de même que les deux victimes confirmées : Philippe Demers et sa secrétaire Stéphanie. Par la suite, j’ai demandé une réunion d’urgence au bureau où nous pûmes faire le point et établir le plan stratégique pour la suite des opérations. Après quoi nous allâmes rencontrer un dépanneur dans le village qui voulait nous montrer la photo du suspect. S’en est suivi un incident douloureux qui n’a rien à voir avec notre affaire, surtout pour la personne qui a malheureusement trépassé.

Le Village

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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La dernière ville sur terre – Thomas Mullen

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2006 (The Last Town on Earth)
Date de publication française : 2023 – Éditions Payot & Rivages
Traduction (américain) :
Pierre Bondil
Genres :
Roman noir, historique
Personnage principal :
Philip Worthy, jeune homme de 16 ans

Charles Worthy, en rupture avec les idées conservatrices de son père et ses frères, a ouvert une scierie en une contrée dont beaucoup pensaient qu’elle n’était pas exploitable. Autour de la nouvelle scierie s’est créée la ville de Commonwealth. Charles a des idées socialistes : il a fait construire des maisons pour ses ouvriers et il leur verse des salaires supérieurs à ceux en cours dans la région, ce qui révulse les autres propriétaires. Quand la grippe espagnole a commencé à faire des victimes dans les villes voisines, les habitants de Commonwealth décident de fermer la ville, personne ne doit en sortir et personne ne peut y entrer. Un panneau sur la route, barrée par un tronc d’arbre, informe les visiteurs et deux sentinelles armées veillent. Un jour arrive un homme affamé et malade qui ne respecte pas l’interdiction. C’est le début d’une spirale négative pour toute la communauté.

Thomas Mullen situe son roman dans les années 1917-1918. Les États-Unis sont entrés en guerre en 1917. Les autorités ont lancé le recrutement des soldats qui doivent intervenir sur le front français. Cependant des hommes catalogués comme ouvriers essentiels à l’effort de guerre pouvaient être exemptés du départ à l’armée, c’était le cas des employés des scieries, mais ils devaient néanmoins se plier à la formalité de la conscription, ce qui a souvent été négligé par les hommes de Commonwealth. Ce sera exploité par leurs adversaires, des hommes jaloux de leur réussite, rassemblés dans la LPA (Ligue de Protection Américaine) qui sous prétexte de servir le pays en profitent pour régler des comptes personnels. Un autre fléau frappe en même temps que la guerre : la grippe espagnole. L’auteur nous fait vivre de l’intérieur les souffrances des gens qui en sont frappés, le désarroi et l’impuissance de leurs proches.

On trouve dans ce roman une belle galerie de personnages crédibles. On suit, tout au long de l’histoire, Philip, un garçon de 16 ans qui a eu une jeunesse bouleversée jusqu’à ce que Charles et sa famille le recueillent et l’adoptent après l’accident de voiture qui a coûté la vie à sa mère et dans lequel Philip a perdu un pied. C’est un garçon sensible et pas très sûr de lui qui a comme modèle Graham qui sait toujours ce qu’il faut faire et qu’il considère comme un grand frère. Graham s’investit totalement dans un rôle de protecteur pour sa famille, pour Philip et pour toute la communauté. Il n’hésite pas à prendre des mesures radicales quand il les juge nécessaires pour le bien de tous, même si elles sont contestables et pas vraiment comprises. Charles est le patriarche et le créateur de Commonwealth, il est écouté et respecté. Il fait de son mieux pour défendre la communauté même si les circonstances font que le contrôle des évènements lui échappe. Les femmes ne font pas de la figuration : – Rebbecca, l’épouse de Charles, militante pacifiste, n’hésite pas à s’opposer aux décisions de la majorité et même à son mari – La jeune Elsie fait preuve d’un grand courage, son soutien réconforte Philip qui en est éperdument amoureux – Sa mère Flora tient le magasin d’alimentation, elle est toujours joviale et ironique – Amelia, l’épouse de Graham est une femme très active qui a été dès l’âge de sept ans joué le rôle de femme au foyer en veillant en plus sur ses trois plus jeunes frères.

À travers l’histoire de Commonwealth, Thomas Mullen nous montre très subtilement comment le confinement modifie les relations entre les gens. Des idées généreuses, telles que le respect des travailleurs et leur juste rémunération, sont mises à mal par une pandémie incontrôlable, mais aussi par la jalousie et, de la part de riches patrons, la crainte que des opinions socialistes prospèrent .

Avec une intrigue de qualité et des personnages remarquables, La dernière ville sur terre est un beau roman noir historique tout à fait captivant.

Extrait :
Il était venu à son esprit que chaque décision prise par la ville depuis le début de la quarantaine avait été surtout marquée par l’égoïsme. Les habitants s’étaient placés sur un piédestal, au-dessus de tous les gens de l’extérieur, défendant la croyance que leurs valeurs devaient passer avant la peine de mort. Cela semblait indéfendable, même si l’on considérait que la propre famille de Philip pourrait tomber malade. Il ne savait pas s’il était vraiment quelqu’un d’honorable ou s’il le deviendrait, quelle sorte de compas éthique biaisé il avait hérité de sa mère, mais voulait croire qu’il était capable d’altruisme. Il en sentait le besoin.

Il avait tourné son regard vers Graham en quête de réponses et n’avait rencontré que le silence. S’était adressé à Charles en quête d’explications et les avait trouvées torturées, d’une logique trop tendancieuse pour cause de rationalisation. Il ne trouverait aucune aide dans ce domaine, s’était-il rendu compte : la quarantaine conçue pour empêcher la grippe de pénétrer en ville n’avait eu pour résultat que de la couper de ses idéaux premiers. C’était une ville en pleine éclipse et il serait obligé de naviguer par ses propres moyens au milieu des ténèbres.

La grippe espagnole aux États-Unis

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

 

 

 

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Le serment – Arttu Tuominen

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (Verivelka)
Date de publication française : 2021
(La Martinière, Points)
Traduction (finnois) :
Anne Colin du Terrail
Genres :
Noir, thriller
Personnage principal :
Jari Paloviita, commissaire

Le genre de ce roman n’est pas facile à définir. On a  affaire d’emblée à un meurtre et on détient fort probablement l’assassin, mais on tarde à trouver l’arme du crime et, si tôt découverte, elle disparaît : pas vraiment un roman d’enquête. Roman noir, je veux bien, parce qu’on nous présente une société finlandaise peu attrayante, des familles dysfonctionnelles où les hommes sont violents, les épouses faibles ou inconscientes, les enfants laissés à eux-mêmes.

Par ailleurs, une partie de l’action se passe en été 1991, une autre en automne 2018. Ces parties alternent, sans trop nous dépayser parce que, dans les deux cas, les principaux personnages sont les mêmes : Antti Mielonen, grand ami de Jari Paloviita, et le détestable Rami Nieminen. En  1991, les trois passent de l’enfance à l’adolescence. Plus tard, Jari deviendra commissaire de police, Rami se fera tuer et Antti sera le principal suspect. Au cours de ces vingt-sept années, Jari a réussi sa vie professionnelle, tandis qu’Antti et Rami ont fréquenté surtout les prisons, pour vols, violences, imbibés d’alcool et gavés de drogues.

Le premier suspense consiste à suivre les affrontements entre Rami, soutenu par deux délinquants violents, et Jari, plus délicat, défendu par Antti. Conflit exacerbé par le fait que Rami et Jari aiment la même fille, Henriikka. La deuxième intrigue, en 1918, commence quand, au cours d’une sorte de fête bien arrosée qui a duré quelques jours, Rami se fait poignarder,  Antti est arrêté comme principal suspect, et l’enquête est confiée à Jari. Redevable à Antti pour bien des raisons, même s’ils ne sont pas vus depuis vingt-sept ans, Jari s’efforcera de disculper Antti, du moins de faire disparaître des éléments importants, pour atténuer la sentence. Sauf que le policier Henrik Oksman, bras droit de Jari, découvre le lien entre les trois hommes et se méfie du comportement de son chef intérimaire.

Cette histoire finira, d’ailleurs, en queue de poisson, comme si l’auteur voulait souligner que l’essentiel n’était pas l’intrigue policière comme telle. Plutôt l’histoire d’une amitié qui a mal tourné : les personnages sont décrits en profondeur; les décors prennent une place importante : de grands espaces brossés avec minutie, accents mis sur les odeurs; importance des rapports interpersonnels. Certains commentateurs ont trouvé que le roman était lent, mais cette lenteur est nécessaire pour nous faire vivre intensément des épisodes douloureux (ce qui arrive à Tiina, la sœur de Jari, par exemple).

Bref, Tuominen nous fait entrer dans une Finlande très éloignée des représentations idylliques qu’on s’en fait très souvent. On en sort un peu déçu car, après tout, ces gens-là nous ressemblent un peu trop.

Extrait :
Dans la soirée, le vent tourna au nord. Il ne soufflait pas encore en tempête, mais il était glacial. Les gens s’enfermaient chez eux, tiraient les rideaux devant les fenêtres et allumaient du feu dans la cheminée. Ce soir-là, les premières neiges apparurent en Finlande, chevauchant le vent. Elles venaient de l’Arctique en épais paquets de nuages qui s’étendaient tel un tapis gris au-dessus de la ville.
Henrik Oksman se tenait à la fenêtre de sa cuisine et regardait les lourds flocons épars se poser sur le bitume plein de trous de la cour de l’immeuble. Quelques instants plus tard, ils tombaient déjà dru. Les nuages pendaient presque jusqu’au sol tels des draps déchirés, le vent grondait et secouait la tôle de l’appui de fenêtre. A dix heures et demie, il neigeait si fort qu’on ne voyait plus au travers. La bise faisait tourbillonner la poudreuse le long du mur des garages.

Pori (Finlande)

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

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La porte du vent – Jean-Marc Souvira

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Fleuve Éditions
Genres :
Mafieux, roman noir, historique, récit de guerre
Personnages principaux :
Paul Dalmate, commandant de police à Paris – Zhang, jeune chinois

À Paris, les mafias juive et chinoise s’entendaient pour faire ensemble des affaires. À la suite d’un désaccord sur un nouveau trafic, une guerre se déclenche entre elles. Il y a des morts côté juif, ce qui entraîne des représailles et des morts côté chinois. La spirale des règlements de compte et des vengeances est enclenchée. Elle continue à faire des morts dans chaque camp, jusqu’à ce que deux vieillards, l’un venu d’Israël, l’autre de Chine, viennent calmer les hostilités. Chacun d’eux est à la tête d’une organisation mondiale du crime organisé. Ils se connaissent, s’apprécient et ont la mémoire des liens qui se sont tissés entre leurs communautés qui remontent à la Première Guerre mondiale. Ils ont décidé ensemble de rétablir l’ordre et de restaurer une entente récemment détruite.

Dans une intrigue dense, l’auteur remonte le temps et nous fait passer de la petite guerre des mafias à la Grande Guerre où tout a commencé. Souvira fait référence à un évènement historique : 140 000 travailleurs chinois sont venus en France à partir de 1916 dans les armées française et britannique pour effectuer des travaux de terrassement ou travailler en usine. Ils y ont rencontré des juifs qui étaient incorporés dans l’armée française ainsi que d’autres travailleurs étrangers, des noirs américains, les Harlem Hellfighters, qui se sont distingués par leur courage sur le front. Des liens de solidarité et d’amitié se sont créés entre eux, ils ont perduré et évolué sur forme d’associations criminelles. Les vieux, maintenant à la tête de ces organisations, se sont transmis le souvenir de l’origine de cette entente. Les jeunes ne l’ont jamais su.

C’est ainsi que les papys mafiosi venus de leur pays respectif se sont installés dans un hôtel de luxe de la place de La Concorde à Paris. Là, ils délivrent quantité d’arrêts de mort, faisant force sourires et courbettes, buvant du thé haut de gamme. Avoir des centaines de morts sur la conscience ne les trouble pas le moins du monde, bien au contraire, tant que leur place, les règles établies et la cérémonie du thé sont respectées.

Pour un ancien policier, Souvira ne donne pas une image bien reluisante de la police : dans cet engrenage d’assassinats et de vengeances, la police en est réduite à compter les points, malgré la détermination et la compétence du commandant Dalmate. Pas vraiment brillante la police française, infiltrée par une taupe qui remonte toutes les avancées de l’enquête aux chefs mafieux et même pas foutue de protéger l’un des siens en pointe sur les investigations.

Souvira accorde de l’importance à la religion juive dans ce roman. il décrit ses rites, les prières, le deuil. Il crée même en la personne de Zhang le juif chinois. L’appartenance à cette communauté n’apporte pas forcément la sérénité, puisque certains de leurs membres n’attendent que la mort d’un des leurs pour s’approprier aussitôt leurs affaires, et qu’ils n’hésitent pas pour cela à accélérer le processus en le faisant flinguer. Mais Zhang, lui, est un érudit, un être rayonnant qui ne fait que le bien.

La porte du vent ne serait qu’un polar de plus sur les mafias si l’auteur n’avait eu la bonne idée d’y incorporer une grosse partie historique qui apporte une note tout à fait originale tout en expliquant comment deux communautés aussi différentes que les Juifs et les Chinois ont pu collaborer.

Extrait :
Zhang acquiesça, touché, et reprit :

— David, ce n’est pas moi qui vous ai rassemblés, c’est la guerre. Oui je suis juif et chinois et j’ai appris de nos deux civilisations. Mais nous avons tous, ici, en commun l’espoir. L’espoir, pour les cent quarante mille Chinois qui ont été recrutés, de permettre à la Chine de gagner en rayonnement. Pour les Juifs, d’être considérés comme des patriotes dans leur propre pays. Et pour les Noirs américains, d’être respectés autant que les Blancs quand vous rentrerez au pays. Tous les morts se valent.

Il inséra dans le lecteur du salon le CD de la bande originale du film In the Mood for Love et se laissa gagner, debout, par la magie de cette musique qui doucement l’envoûta.

Musique du film In the Mood for Love

Travailleurs chinois pendant la guerre 1914-1918

Niveau de satisfaction :
4.2 out of 5 stars (4,2 / 5)

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Domaine Lilium – Michael Blum

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Héliotrope Noir)
Genre :
Noir
Personnage principal :
Dan Katz, professeur (histoire de                              l’architecture), Université McGill

C’est le premier roman de Michael Blum, professeur à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM.

Dan Katz, historien de l’architecture, se rend à Drancy pour étudier la Cité de la Muette. Construite à partir de 1932 dans le but d’être le premier immeuble d’habitation collective à loyer modéré en Île-de-France (1250 logements), elle servit, en fait, comme camp d’internement sous l’occupation nazie, puis comme caserne de gendarmes, enfin comme HLM [1]. Kats écrit un livre sur l’aspect architectural original de La Muette (passage du bois à l’acier, de la brique au béton, de l’homme à la machine), mais aussi sur le rôle politique qu’elle a joué sous l’occupation : internement, humiliations et tortures, expédition vers Auschwitz.

Quand Katz découvre que ses grands-parents ont été enfermés et torturés à La Muette avant d’être envoyés dans ce fameux camp d’extermination, son intérêt pour l’architecture décroît et il décide d’enquêter sur les responsables français des malheurs de ses grands-parents. Les véritables responsables sont décédés, mais leurs descendants continuent à préconiser une politique d’extrême droite en France et envisageraient même de prendre d’assaut les institutions gouvernementales québécoises et de rattacher une partie de la Gaspésie à la France. Le désir de vengeance obsède Kats d’autant plus qu’il est lui-même une cible parfaite pour les nazis ou les partisans de l’extrême droite : Juif, gai, intellectuel de gauche. Avec le soutien d’une de ses étudiantes, Ilana Berkovitz, Katz se lance dans une expédition près de Murdochville sous prétexte d’acheter une maison dans le Domaine Lilium, géré au profit des descendants des tortionnaires. Jonathan Poulin-Paquette, directeur du Domaine, les invite à l’ouverture officielle. Katz et Berkovitz acceptent l’invitation. Et une joyeuse cérémonie se transforme assez vite en affreux cauchemar.

C’est un roman psychologique écrit comme si c’était le journal personnel de Kats, ses désirs, ses craintes, ses rêves, sa solitude. Sa mère et sa sœur vivent en Israël; Kats communique peu avec elles. C’est un universitaire à l’aise dans ses livres mais maladroit avec les gens. Il est content d’habiter au Québec (il dirait plutôt au Canada) et d’échapper ainsi à Israël. En fin de compte, ce qui le définit le mieux c’est le besoin de vengeance qui s’empare de lui jusqu’à l’obsession. C’est sans doute plus compréhensible dans le cas d’un Juif. On peut le suivre jusqu’à un certain point, encore que ses actions excessives relèvent plus du délire d’un être faible et mal adapté que d’un souci d’une juste vengeance : « Le châtiment de l’un était la paix retrouvée et la satisfaction de l’autre; c’était un acte comptable, les recettes devaient compenser les dépenses ». Ce me semble une rationalisation qui ne l’apaisera pas longtemps.

On y croit mal, comme on croit mal aux gestes des écolo-anarchistes, à l’incendie que Kats provoque, au double jeu de Berkovitz, au rôle mystérieux de Nurit, et, finalement, à l’histoire elle-même. Par contre, si on se place d’un point de vue psychologique, le récit nous apparaît alors comme une projection fantasmatique intéressante.

[1] Historiquement authentique.

Extrait :
L’expédition gaspésienne n’était pas une option à considérer parmi d’autres, mais une sorte d’obligation morale. Or, celle-ci se doublait de sentiments moins avouables, mais tout aussi impérieux. Il ne voulait surtout pas être grandiloquent et se méfiait des positions de principe. Mais, factum : il était le seul descendant de Joseph et Colette Katz qui semblait s’être intéressé à eux et ne pouvait fuir cette responsabilité. Il irait en Gaspésie parce qu’il devait rester quelque chose d’un mensch en lui et qu’il avait contracté une dette de mémoire vis-à-vis de son grand-père, de sa grand-mère et de leurs six millions de cousins. Il avait été missionné pour obtenir réparation et il irait recouvrer la dette. Dès qu’il l’eut formulé comme ça, il se sentit soulagé.

Cité de la Muette

Niveau de satisfaction :
3 out of 5 stars (3 / 5)

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Les Gentils – Michaël Mention

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Belfond
Genre :
Roman noir
Personnage principal :
Franck Lombard, père d’une fille décédée

Paris – 1978.
Franck Lombard est disquaire à Paris. Il a vécu un drame : sa fille chérie a été tuée lors d’un braquage d’une boulangerie. Cela a entraîné la séparation avec son épouse, la mère de la gamine. Six mois après cette tragédie, la police n’a aucune piste concernant le coupable. Franck décide alors de le retrouver lui-même et de lui faire payer son crime. Il vend sa boutique et se lance dans une traque éperdue. Il suit une piste ténue qui l’amène à traverser la France, puis la Guyane, le Suriname pour finir au Guyana. Un tel périple n’est pas sans dangers, Franck va en faire l’expérience douloureuse, mais rien ne peut l’arrêter dans sa vendetta.

Le roman est centré sur le personnage de Franck qui était un homme paisible et heureux avec sa petite famille. C’est un amoureux de la musique, son métier de disquaire lui permettait d’assouvir sa passion. Tout a basculé pour lui ce jour de janvier 1978 quand son épouse en pleurs lui a annoncé la mort de leur fille. Depuis c’est un autre homme : un exalté qui ne pense qu’à la vengeance. Pourtant la mort de la petite ressemble plus à un accident qu’à une agression délibérée. La gamine a été poussée dans le dos par un minable petit braqueur dans sa fuite précipitée, sa tête a heurté un mur, fracture mortelle. Mais Franck ne retient qu’une chose : ce type est responsable de son malheur. Le tuer c’est aussi rendre hommage à sa fille, pense-t-il. Pour le retrouver, les indices sont minces, un homme blanc, la vingtaine, brun, mais un signe distinctif : le logo Anarchie tatoué sur l’épaule gauche. L’auteur décrit en détail cette traque délirante d’un homme survolté par la douleur qui continue à entretenir un dialogue imaginaire avec sa fille disparue.

Le petit disquaire parisien se transforme malgré lui en un aventurier qui doit faire face à des situations périlleuses. Mais porté par son idée fixe de retrouver le responsable de la mort de sa fille et par la rage toujours intacte de la venger, Franck avance obstinément vers un dénouement imprévisible. La dernière partie du roman fait référence à une histoire vraie, celle de la secte du Temple du Peuple installée à Jonestown au Guyana. En novembre 1978, elle eut comme épilogue terrible la mort de 908 personnes, empoisonnées par un mélange de jus de fruits et de cyanure de potassium. Le plus grand suicide collectif de tous les temps.

L’écriture de Michaël Mention est à l’image de son héros : survoltée. Elle rend bien l’obsession et le chaos qui règnent dans la tête de Franck Lombard.

Les Gentils est un bon roman noir, atypique, remarquable par son sujet et par son écriture singulière.

Extrait :
Je ne mérite pas ça.

Ma vengeance mûrie durant des mois, à chaque seconde, chaque battement cardiaque, au-delà des routes et des rencontres, cette vengeance dont je t’avais fait le serment m’a été volée. Ma vengeance à moi, à laquelle j’ai tout sacrifié. C’est pour elle que j’ai tenu, pour elle que j’étais encore demain, pour elle que j’ai trahi mes valeurs et tant frôlé la mort. Ma vengeance, mon dû. Du matin au soir, elle était là, omniprésente, si réelle que j’en respirais presque l’odeur de sang chaud, avant qu’elle ne me soit confisquée.

Ç’aurait pu être une autre chanson, pop ou disco, mais non. Ce jour-là, à cet instant précis, c’est elle qui tournait sur la platine. Et je ne crois plus aux coïncidences. Plus en rien, depuis que tu es partie.
« DEATH WALKS BEHIIIIND YOU ! »

Atomic Rooster – Death Walks Behind You

Le Pasteur Jim Jones, gourou de la secte le Temple du Peuple

Niveau de satisfaction :
4.3 out of 5 stars (4,3 / 5)

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L’Épouse et la Veuve – Christian White

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2019 (The Wife and the Widow)
Date de publication française : 2021 (Albin Michel)
Traduction (anglais, australien) :
Isabelle Maillet
Genre :
Thriller
Personnages principaux :
Abby et Kate

J’avais bien aimé Le mystère Sammy Went du même auteur. C’est donc avec beaucoup d’espoir que j’ai abordé le deuxième roman de Christian White. Et je n’ai pas été déçu.

Kate et sa fille, Mia, attendent l’arrivée de John, l’époux de Kate, à l’aéroport de Melbourne. Le temps passe et John n’arrive toujours pas. Le père de John, Fisher, brasse la cage, mais ça ne change rien à la disparition de John. Kate enquête et apprend que John avait quitté son −emploi de médecin au Centre de soins palliatifs de Trinity depuis trois mois. Et qu’il est peu probable qu’il soit allé à un séminaire sur les soins palliatifs à Londres. Où est-il passé et pourquoi Kate n’avait pas été mise au courant du fait qu’il ne travaillait plus à Trinity ?

Abby est l’épouse de Ray; ils ont deux enfants, Lori et Eddie. Ils habitent à Belfort, une île au sud de l’Australie. Ray travaille à la société Island Care, spécialisée dans le gardiennage des maisons de vacances inoccupées pendant la morte-saison. Abby découvre dans le garage des vêtements qui semblent souillés de sang et des revues érotiques exposant des photos suggestives d’hommes. Elle ne comprend pas ce que font là ces revues et ces vêtements. Tout un côté de la vie de Ray semble lui avoir échappé.

Le lecteur se sent rapidement impliqué dans cette histoire parce qu’il est facile de s’identifier aux personnages qui mènent une vie bien ordinaire, qui pourrait être la nôtre. Et parce que, dans ce contexte, la disparition de John et l’ambiguïté de Ray apparaissent pour le moins inattendues et plutôt mystérieuses. On a beau suivre scrupuleusement les pistes qui s’offrent à nous, le rebondissement final nous déconcerte. White fait preuve d’une belle audace. Nous en sortons étonnés et enchantés.

Extrait :
– J’aurais voulu savoir ce que vous pensiez de cette fausse chambre d’hôtel que John a reconstituée.
Il voulait me faire croire qu’il m’appelait de Londres par Skype, dit Kate.
C’est tout de même se donner beaucoup de mal pour étayer un mensonge, souligna la policière. Pourquoi ne vous a-t-il pas dit qu’il venait à Belport, tout simplement ?
Kate secoua la tête. Elle commençait à en avoir assez qu’on lui pose cette question. Chaque fois, il lui semblait qu’elle connaissait de moins en moins John (…)
Je ne sais pas, répondit-elle. Et il y a autre chose. Deux choses, à vrai dire. Il y avait une couche de peinture fraîche sur l’un des murs du salon. J’ignore ce que ça signifie, ou si c’est important (…).
Pour le moment, ce n’est pas notre préoccupation. Je voudrais que vous me parliez de ce décor de chambre d’hôtel.

Belfort ou l’Île aux lamas

Niveau de satisfaction :
4.4 out of 5 stars (4,4 / 5)

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Notre dernière part de ciel – Nicolás Ferraro

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023
Date de publication française : 2023 – Rivages/Noir
Traduction (espagnol Argentine) :
Alexandra Carrasco et Georges Tyras
Genre :
Roman noir
Personnage principal :
Reiser, vieil homme au lourd passé – Zupay, homme de main de narcotrafiquants

Tout est parti en couilles en sept coups de fusil.
Sept coups de fusil plus tard, l’avion Cessna qui transportait des narcotrafiquants ainsi qu’une cargaison de cocaïne lâchait, par ses portes ouvertes, une pluie de ballots de drogue au-dessus de la campagne qu’il survolait avant de se crasher. Cette manne tombée du ciel représente l’espoir d’une vie meilleure pour certains, mais c’est aussi un manque à gagner considérable pour les trafiquants. Ces derniers missionnent Zupay, leur plus redoutable homme de main, pour récupérer le magot égaré. Les heureux gagnants de ces cadeaux inespérés n’ont pas l’intention de les rendre, mais Zupay sait trouver les arguments imparables pour qu’ils restituent leurs lots.

Les personnages sont nombreux, mais deux dominent : – Reiser, un homme âgé, mais encore plein de ressources, dont le passé est plein de violence et de souffrance – Zupay, homme de main féroce et cruel qui ne recule devant aucune atrocité pour obtenir ce qu’il veut. Ces deux hommes ont en commun d’être des experts dans le maniement des armes et d’avoir un certain nombre de cadavres derrière eux. D’autres protagonistes sont des gens modestes pour qui ce cadeau providentiel d’un sac de drogue qui a atterri chez eux représente l’espoir d’un meilleur avenir, ailleurs où l’existence est plus facile. Il a aussi quelques mafieux qui s’engraissent dans le commerce illicite ou en exploitant la misère humaine.

Le roman débute fort. Nous sommes immédiatement au cœur de l’action avec cet avion en détresse qui survole la campagne en lâchant un chapelet de sacs de cocaïne avant de s’écraser au sol. La suite baisse d’un ton. On se perd un peu dans des allers-retours entre le passé et le présent censés nous éclairer sur la personnalité et l’histoire des personnages. Le problème est qu’après un départ canon plein de punch, l’auteur s’enlise dans la description des bordels et des clubs de strip-tease qui contribue, certes, à créer une ambiance, mais qui fait perdre à l’intrigue une bonne partie de son intensité. Quelques scènes de torture bien horribles menées par Zupay, l’artiste dans ce domaine, viennent secouer le lecteur. L’intensité, on la retrouve dans la partie finale dans l’affrontement sauvage qui vire au western moderne et sanglant.

Notre dernière part de ciel est un roman noir (très noir), fidèle aux codes du genre, il se distingue par un début et une fin très percutants, la partie centrale étant plus ordinaire.

D’après la présentation de l’éditeur, Nicolás Ferraro, né à Buenos Aires en 1986, est considéré comme l’étoile montante du roman noir argentin.

Extrait :
Il a pressé des tas de boutons. Tiré sur le manche. Juré copieusement. Les voyants se sont allumés et mis à clignoter comme un sapin de Noël. La came en suspension dans l’air leur engourdissait la tronche. L’avion de tourisme poursuivait sa descente, ballotté par un fort roulis. Le fusil a pris la tangente. Les portes battaient de l’aile comme un oiseau pris au piège.

Keegan avait failli être aspiré par le vide en s’efforçant de les fermer. Il a regardé les pains de drogue dégringoler, s’éloigner, rapetisser, soulever des nuages de poussière au sol, se perdre dans la campagne, atterrir sur le plateau d’un pick-up dans une ferme perdue, et il s’est rappelé un film sur des bombardiers pendant la Seconde Guerre mondiale. Des villes rasées sous des bombes de cinq cents kilos. Il en a presque ressenti les explosions sur ses épaules.

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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Les Agneaux de l’Aube – Steve Laflamme

Par Michel Dufour

Date de publication originale : 2023 (Libre Expression)
Genre :
Noir
Personnage principal :
Guillaume Volta, lieutenant-détective (Québec)

Des morts violentes s’accumulent dans les régions de Québec et de Charlevoix. Une victime semble avoir laissé un texte que les policiers ne parviennent pas à déchiffrer, sauf dans le cas d’une référence à l’Ordre hermétique de l’Aube dorée et à Aleister Crowley, qui aurait fait partie de cet ordre entre 1898 et 1907. Le lieutenant-détective Guillaume Volta ne comprend rien au texte et fait appel à la professeure de littérature à L’Université Laval, Frédérique Santinelli, qui avait déjà aidé la police dans un cas semblable.

Les meurtres se multiplient, toujours plus affreux les uns que les autres. D’une part, les victimes paraissent être des gens qui désiraient se suicider et qui ont fait appel à une organisation qui confie à des tueurs sadiques la mission de les éliminer de façon spectaculaire. D’autre part, les fondateurs d’une école alternative, l’École du Verseau, active il y a une vingtaine d’années, et qui se donnait pour but d’enseigner les vraies affaires, semblent subir la vengeance d’anciens élèves qui n’ont surtout retenu de la Bible que le « Œil pour œil, dent pour dent ». Ces anciens élèves ont formé un groupe qui gère la mise à mort des suicidaires.

Contre une telle organisation, les forces de l’ordre sont plutôt démunies, d’autant plus que Volta doit s’occuper de sa femme victime d’un AVC et que Santinelli est hantée par ses dix-huit premières années qui ont été effacées, médicalement, de sa mémoire, et au cours desquelles elle se serait tranché les veines des deux poignets. Volta, Santinelli et la police internationale visent à éliminer les anciens élèves devenus des criminels plutôt cinglés, avec un certain succès, même s’ils ne s’en tireront pas indemnes.

Ce n’est pas un roman facile à lire. Je me permets de conseiller à ceux et celles qui n’apprécient pas la littérature gore de sauter carrément par-dessus la description des multiples victimes et de leurs supplices. Malheureusement, l’auteur semble surtout s’intéresser à cet aspect du roman. Les principaux personnages sont peu développés et pas particulièrement attachants, sauf Santinelli, ardente porte-parole du combat de Laflamme contre les complotistes et les ignorants qui se croient savants parce qu’ils sont nombreux sur les réseaux sociaux. Ses intuitions et son combat contre Lemay sont cependant peu crédibles. Pas beaucoup plus que les autres scènes d’action. Mais je ne crois pas que cela importe beaucoup à l’auteur qui cherche plutôt à créer des atmosphères glauques peuplées de personnages improbables. On se rapproche ainsi de la littérature fantastique noire. Quitte à ce que le lecteur se sente un peu perdu, comme ce fut mon cas dans les dernières trente pages.

Extrait :
Après les événements du 11 Septembre, au début du millénaire, une poignée de citoyens de la Côte-de-Beaupré avaient eu l’idée excentrique de mettre sur pied leur propre école. Une école primaire qui prendrait en charge les enfants de cinq à douze ans pour leur prodiguer, disait-on, un enseignement alternatif. L’École du Verseau souhaitait ainsi s’éloigner de la ligne directrice du réseau scolaire québécois, « pervertie » par les idées d’une gauche laïque, sans spiritualité, allait-elle affirmer, mais prêtant également le flanc aux dérives du discours médiatique et scientifique. Ce dernier occupait injustement le haut du pavé, alléguait-on à l’École du Verseau, au détriment des enseignements qui avaient façonné l’humanité depuis des siècles. Il fallait réapprendre, croyait-on, les valeurs fondamentales, se recentrer sur des préceptes à la fois chrétiens et pragmatiques, si on souhaitait s’épargner des laideurs comme celles qui touchaient les États-Unis.

Niveau de satisfaction :
3.2 out of 5 stars (3,2 / 5)

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Les Cinq Sœurs – Percy Kemp

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2023 – Seuil
Genres :
roman d’espionnage, sociétal
Personnage principal :
Harry Boone, agent secret britannique

Harry Boone, agent des services secrets britannique, se prélasse au soleil de l’Andalousie. Il est missionné pour superviser les recherches du Noble Reflet. C’est un miroir de bronze que la jeune Aïcha, l’épouse préférée du Prophète Mahomet, avait tendu à son époux dont le visage s’y est réfléchi, mais aussi imprimé sur le bronze à tout jamais. L’existence de cette relique sacrée est attestée par un manuscrit arabe vieux de cinq siècles. Boone est serein quant au résultat de ces recherches, mais d’autres évènements vont venir troubler sa quiétude : des attentats contre internet vont arrêter complètement l’activité des Big Tech[i]. Cette attaque est mondiale, mais il y a eu près de Grenade, où Boone est basé, un attentat contre une petite station de câbles sous-marins et Boone est fermement prié par son chef de sortir de sa douce torpeur et d’enquêter avec efficacité, sinon c’est le retour dans la grisaille de Londres si les résultats ne sont pas là. L’argument est de poids pour Harry Boone qui se trouve très bien en Andalousie. Il va devoir se bouger.

Percy Kemp met en scène un drôle d’agent secret : Harry Boone. Le plus important pour lui c’est sa tranquillité. Cet Irlandais a la confrontation en horreur, il n’aime pas brusquer les choses, il considère que son rôle est d’avant tout d’arrondir les angles. Sa spécialité : faire exécuter aux autres ce qu’il devrait réaliser lui-même. Il se plaît à Grenade en compagnie de son épouse Maria, sa mission ressemble à des vacances aux frais du gouvernement britannique. Jusqu’à ce qu’il y ait les attentats contre internet.

L’intrigue élaborée par l’auteur est solide. Une première partie est comme une parenthèse dans laquelle Kemp montre le genre de manipulation qu’affectionnent les services secrets. On rentre vraiment dans le cœur de l’intrigue avec l’attaque en règle contre les Big Tech qui va entraîner l’arrêt de leurs activités et la perte de milliards de dollars. Il y a une confrontation d’idées intéressante entre un leader charismatique des hackers qui ont provoqué le crash et Boone. Elle inclut une critique sévère des entreprises du web et de leur soif insatiable de super profits. Les cinq géants de la haute technologie, tous américains, sont devenus si puissants qu’ils sont incontrôlables par les États. Aussi experts à amasser des gains énormes qu’habiles à contourner toute législation contraignante. La seule façon de les maîtriser c’est de stopper leurs activités et de provoquer ainsi un manque à gagner colossal. C’est l’exploit réalisé par des super-hackers. La rançon demandée pour libérer l’internet ne manque pas d’originalité.

Plus qu’un roman d’espionnage, Les Cinq Sœurs est un avant tout un réquisitoire contre la puissance hors de contrôle des Big Tech (ou GAFAM). La réflexion et l’opposition des idées prennent souvent le pas sur l’action d’où l’impression d’un roman érudit, mais un peu trop discoureur.

Percy Kemp est un écrivain de nationalité britannique écrivant en français, né à Beyrouth le 20 juillet 1952, de père britannique et de mère libanaise. Il a écrit de nombreux romans, dont la série Harry Boone. Il est aussi l’auteur d’essais et d’articles de politique et géopolitique.

[i] Les Big Tech sont ce qu’on appelle aussi les GAFAM, les puissantes entreprises américaines du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

Extrait :
– Google, Microsoft et Amazon sont les plus grosses plateformes cloud vers quoi ont migré les data de dizaines de millions d’entreprises et d’institutions publiques et privées qui sauvegardaient auparavant leurs données in situ, dans leurs propres data centres. Sans compter les milliards de particuliers. Or du fait de cette attaque en règle contre les Big Tech, toutes ces entreprises, toutes ces institutions et tous ces particuliers n’ont plus accès à leurs données. Tu imagines le bordel ? Et ce n’est pas tout. Avec Google qui se crashe, le déni de service aux utilisateurs touche aussi Gmail, YouTube, Google Drive, Google Maps, Google Cloud, les contacts, photos, calendrier Google, etc., etc. Avec Apple qui se crashe, le déni de service aux utilisateurs touche iTunes, Apple Music, Apple Photos, Apple TV, etc., etc. Avec Microsoft qui se crashe, le déni de service aux utilisateurs touche aussi Outlook, Microsoft Cloud, OneDrive, Skype, LinkedIn, GitHub, etc., etc. Avec Amazon qui se crashe, le déni de service aux utilisateurs touche Amazon Web Services, Amazon Ventes au détail, Amazon Prime, Amazon Cloud, Zoom, etc., etc. Et avec Facebook qui se crashe, le déni de service toucherait aussi semble-t-il les utilisateurs de WhatsApp, de Messenger, d’Instagram…

Les Big Tech (ou GAFAM)

Niveau de satisfaction :
4 out of 5 stars (4 / 5)

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