Trois cartouches pour la Saint-Innocent – Michel Embareck

Par Raymond Pédoussaut

Date de publication originale : 2021 – L’Archipel
Genre :
Enquête journalistique
Personnages principaux :
Franck Wagner, ancien journaliste – Jeanne Moreau ancienne détenue

Depuis la mort de son épouse, Franck Wagner parcourt l’Europe au volant d’un camping-car. Ex-journaliste spécialisé dans les faits divers, maintenant à la retraite, mais pas complètement désintoxiqué de son ancien métier, il se livre à une sorte de tourisme criminel en se rendant sur les lieux où ont sévi des meurtriers qui ont défrayé la chronique de l’époque. De passage à Roche-les-Eaux il tombe sur une septuagénaire dont les traits lui rappellent vaguement quelque chose, sans pouvoir cependant y accrocher un souvenir précis. La dame en question a remarqué le regard insistant de ce vieux type et elle n’aime pas ça. Aussi sec elle va signaler à la police qu’un vieux dégueulasse tourne autour des gosses qui jouent. Ce qui vaut à Wagner de passer six heures d’interrogatoires dans une gendarmerie. Du coup Wagner s’intéresse à sa dénonciatrice dont il va finir par découvrir l’identité. Mais il ne s’arrêtera pas là, il va creuser l’affaire de celle qui a eu son moment de célébrité, il y a quelques années, dans une histoire dont on a beaucoup parlé en France.

L’intrigue tourne autour de deux personnages qui ont un long passé derrière eux, et un court avenir devant. Jeanne Moreau a 70 ans. Elle se présente comme une retraitée de l’administration pénitentiaire. Elle est devenue une vieille dame discrète et anonyme, un peu misanthrope, qui a changé d’aspect et dont les rares plaisirs sont la lecture de l’hebdomadaire de faits divers Détective et les parties de tarot avec les bourgeoises de Roche-les-Eaux. Franck Wagner, même âge que Moreau, bien que retraité reste journaliste. Un journaliste à l’ancienne qui a bourlingué en tant que fait-diversier dans pas mal de journaux. Il fonctionne par réseau : il connaît toujours la bonne personne qui fera avancer ses investigations, que ce soit dans les médias, dans la police ou dans la magistrature. Il n’utilise pas du tout les nouvelles technologies : son téléphone ne lui sert qu’à téléphoner et on ne sait qu’il a un ordinateur que parce que la police l’a fouillé à la recherche d’images pédophiles. Wagner s’astreint à une règle d’or dans ses enquêtes : il faut toujours suivre les sous. C’est un nostalgique du passé, plutôt pessimiste et souvent persifleur quand il observe notre société.

Michel Embareck, à travers l’enquête de Franck Wagner, reprend dans ce roman l’affaire Jacqueline Sauvage qui s’est déroulée en 2012. Il réexamine point par point tous les manquements de la procédure judiciaire et l’emballement médiatique qui a suivi sa condamnation à dix ans de prison. Il met en évidence les pistes qui n’ont pas été explorées car on a cédé à la facilité : on avait la victime et une accusée qui avait reconnu son geste, l’affaire était pliée. On n’a pas beaucoup creusé pour savoir s’il y avait ou pas préméditation. Il montre aussi comment la dictature de l’émotion a pris le pas sur le Code pénal et comment les rôles de victime et d’accusé ont été inversés. Il y a aussi la pression médiatique qui s’est exercée à travers les mouvements féministes et les réseaux sociaux devant l’incompréhension de la peine infligée à une femme battue qui a fini par se révolter contre son mari qui la tyrannisait, exerçant ainsi une légitime défense. C’est la version vendue par l’avocate de Jacqueline Sauvage/Jeanne Moreau. Cette affaire a fait tant de bruit qu’elle est montée jusqu’à la Présidence de la République et le Président François Corrèze a dû se dépatouiller avec ce cadeau empoisonné que lui a laissé son prédécesseur Nick Karcher ! Par dérision ou par sens de l’humour, François Corrèze a signé la grâce de Jeanne Moreau le jour de la Saint-Innocent.

C’est avec humour et ironie que l’auteur nous révèle le dessous des cartes d’un fiasco judiciaire. Il faut lui reconnaître un certain courage pour oser s’attaquer à celle qui est devenue l’icône des combats féministes et de la violence faîte aux femmes. Il risque comme son héros, Franck Wagner, de voir sa maison recouverte de tags injurieux, voire même d’être incendiée par des féministes survoltées qui n’ont pas lu son livre, mais en ont entendu parler. J’espère qu’il habite loin des grandes villes !

Extrait :
Pour cela, le grand public devait gober le tragique roman de l’épouse modèle martyrisée pendant près d’un demi-siècle par un tyran domestique doublé d’un pervers incestueux. Les chaînes d’info en continu, gardiennes de la doxa, n’ayant couvert aucun des deux procès, ne purent apporter la moindre contradiction à un enfumage industriel. Puisque l’émotion nuit gravement à la réflexion, l’opinion s’abreuva donc à la source de l’avocate et des activistes du comité de soutien, d’autant que le récit se voulait en noir et blanc. Des affabulations servies prémâchées à destination d’une foule ignorant tout du déroulement des audiences et des attendus des verdicts. Forte de la caution d’une sénatrice grenouille de bénitier, d’un député très à gauche, d’intellectuels des deux sexes, l’avocate fut l’invitée des journaux télévisés. Elle jeta de l’huile sur le feu de brousse en alignant mensonges par omission et contre-vérités, même si, parfois, des présentateurs lui apportèrent la contradiction du bout des dents.

Niveau de satisfaction :
4.1 out of 5 stars (4,1 / 5)

 

 

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